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La modernisation des Forces canadiennes
Introduction
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’armée canadienne a développé de nouvelles capacités, structures et rôles pour ses opérations nationales et internationales. Certaines de ces dynamiques ont été abordées dans la section sur la défense aérienne pendant la Guerre froide, qui examine le développement de l’industrie aéronautique de l’Ontario et l’intégration de l’Ontario dans le NORAD. Cette section offre un aperçu chronologique plus général de la modernisation militaire dans les Forces canadiennes. Elle vise à donner un sentiment de continuité historique entre l’histoire militaire de l’Ontario et le présent.
De 1946 à 1968
Après la Seconde Guerre mondiale, l’Union soviétique et la République populaire de Chine ont émergé avec des armées massives et une attitude antagoniste à l’égard de la démocratie et du capitalisme. Les dirigeants démocratiques occidentaux, qui ont appris les conséquences de l’isolement et de l’apaisement des origines de la Seconde Guerre mondiale, se sont engagés à être plus proactifs en ce qui concerne leur propre sécurité collective ainsi que la sécurité internationale de la démocratie.
Parmi les changements survenus après 1945, le Canada a accepté de s’intégrer plus étroitement à l’armée américaine. Dès 1947, le Canada a conclu des accords de sécurité bilatéraux par lesquels il s’engageait à acheter du matériel américain, à suivre une formation américaine et à intégrer davantage les communications militaires. Il s’agit d’un changement de cap important, car il représente une accélération du rapprochement du Canada avec les États-Unis et de son éloignement du Royaume-Uni. Mais le Canada n’était pas totalement unique à cet égard. Conformément à la doctrine Truman, le gouvernement américain s’est engagé à contenir l’influence soviétique et, en conséquence, les États-Unis ont investi massivement dans la reconstruction de l’Europe occidentale dans le cadre du plan Marshall. Se fondant sur cet engagement et ce soutien financier, les démocraties occidentales se sont ralliées au leadership américain pour former l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en 1949. Initialement signée par le Canada, les États-Unis et dix pays européens, la nouvelle organisation est une alliance militaire officielle qui lie les membres par leur engagement en faveur des valeurs démocratiques, des droits de la personne et des Nations Unies, alors nouvellement créées.
En 1951, le Canada a montré son engagement envers l’OTAN en déployant une brigade d’infanterie et une division aérienne en Allemagne et en France. Le Canada a également déployé des forces militaires en Corée dans le cadre du Commandement des Nations Unies pour défendre le gouvernement démocratique sud-coréen. En tant que contribution du Canada à la 1re division du Commonwealth en Corée, un contingent spécial composé de volontaires a été mis sur pied et appelé la Force spéciale de l’armée canadienne. À la mi-1951, 8 500 soldats avaient été déployés et, à la fin de la guerre en 1953, environ 20 000 Canadiens avaient servi. La guerre de Corée ayant confirmé les craintes d’agression communiste de la Guerre froide, le Canada s’est engagé dans de nouvelles initiatives de modernisation et d’expansion militaires. Entre 1949 et 1951, les effectifs militaires canadiens augmentent de 70 %. Le gouvernement libéral de Louis Saint-Laurent consacre également 5 milliards de dollars au réarmement militaire. Mais ce n’est pas tant l’expansion des grades et des budgets militaires qui a rendu cette période unique que la façon dont l’armée s’est transformée de l’intérieur.
L’intégration permanente des femmes est l’un des changements les plus importants de cette période. En 1947, les femmes du Service féminin de l’Armée canadienne, la Division féminine de l’ARC et le Service féminin de la Marine royale du Canada (SFMRC) sont démobilisées, à l’exception d’un groupe restreint d’infirmières. Quatre ans plus tard, pendant la guerre de Corée, les engagements militaires n’atteignaient pas les objectifs de recrutement, ce qui a mené le cabinet fédéral à autoriser à nouveau le recrutement des femmes. Certaines inégalités entre les hommes et les femmes ont été éliminées, comme l’inégalité de rémunération entre le personnel masculin et le personnel féminin, mais de nombreuses inégalités ont persisté. Par exemple, les femmes mariées ne pouvaient pas s’engager, les services armés fixaient des limites à l’engagement des femmes, les femmes servaient dans des divisions féminines distinctes, les postes étaient limités à des rôles non combattants et seulement des infirmières étaient envoyées en Asie et en Europe. Malgré ces limites, l’enrôlement des femmes a augmenté dès la première année : près de 2 600 femmes se sont enrôlées dans l’ARC, 1 000 dans la réserve de l’armée et 369 dans Réserve de l’Armée et 369 dans le Service féminin de la Marine royale du Canada. Au milieu des années 1960, le nombre de femmes militaires a considérablement diminué et les forces armées ont envisagé de dissoudre à nouveau les divisions féminines. Cela a mené le ministre de la Défense nationale à réaliser une étude sur les femmes dans les forces armées. Les conclusions de cette étude soutenaient fermement le maintien de l’emploi des femmes comme moyen de libérer les hommes pour des tâches plus complexes. L’étude a donc contribué à assurer la permanence des femmes dans les forces armées, mais elle n’a pas remis en cause de manière significative les normes de genre en vigueur.
Un autre changement dans l’armée a été la réorganisation et l’unification des trois services militaires. En 1964, le ministre de la Défense nationale, Paul Hellyer, publie le Livre blanc sur la défense. Il affirme que l’armée a besoin d’une nouvelle structure pour remplir ses rôles en matière de défense collective et de stabilité internationale, en particulier pour s’adapter aux exigences des missions de maintien de la paix. En restructurant l’armée, l’ARC et la Marine royale du Canada (MRC) en commandements fonctionnels regroupant les services, il pourrait y avoir un seul point d’autorité pour superviser les opérations intégrées. Après des ajustements aux structures proposées par Hellyer, six commandements seront créés : le Commandement de la Force mobile, qui regroupe l’armée et l’appui aérien tactique, le Commandement maritime, qui regroupe l’appui naval et l’appui aérien naval, le Commandement de la défense aérienne, le Commandement de l’instruction, le Commandement du matériel, le Commandement du transport aérien et, plus tard, le Commandement des communications. Le 1er février 1968, la Loi sur la réorganisation des Forces canadiennes entre en vigueur et six commandements fonctionnels sont officiellement fusionnés au sein des Forces armées canadiennes. L’unification s’accompagne de la dissolution des structures organisationnelles distinctes pour les femmes. De plus, les camps militaires canadiens, les bases et les navires terrestres deviennent des bases des Forces canadiennes, des uniformes verts sont distribués pour tous les services (ce qui constitue un changement notable par rapport à la tenue britannique), et la structure des grades est modifiée, de même que les insignes de service.
En 1968, un autre changement important survient dans l’armée : la création de nouvelles unités de langue française. Historiquement, la langue anglaise était prédominante dans l’armée canadienne. Après l’élection de Pierre Trudeau en 1968, le nouveau gouvernement libéral s’engage à soutenir la Loi sur les langues officielles, qui fait du français une langue officielle du Canada. L’armée est l’institution idéale pour mettre en œuvre cette réforme. En plus des nouvelles unités de langue française, des écoles militaires de langue française sont créées, le bilinguisme devient une exigence pour le haut commandement et la représentation canadienne-française est privilégiée dans le recrutement et la promotion. La mise en œuvre des réformes bilingues n’a pas été sans heurts mais, au fil des décennies, elle a connu une réussite remarquable.
De 1968 à la fin de la Guerre froide en 1991
Alors que les tensions de la Guerre froide s’apaisent au milieu des années 1960 et dans les années 1970, le gouvernement fédéral entreprend des réductions financières et des réductions d’effectifs militaires. La Réserve, qui avait été réorientée vers la défense civile dans les années 1950, est abaissée de 23 000 à 19 000 hommes. Le contingent canadien de l’OTAN a été réduit de moitié en 1969. La Force régulière compte moins de 80 000 hommes et femmes. En ce qui concerne l’acquisition de nouveaux équipements militaires, le gouvernement fédéral a préféré acheter des équipements obsolètes à des alliés de l’OTAN pour des raisons d’économies et de poids politique. La marine est la principale victime de l’austérité budgétaire au cours de cette période. Après 1972, les Forces canadiennes ne recevront aucun nouveau navire de guerre pendant 15 ans.
En plus des réductions d’effectifs, la tendance à la « civilianisation » des responsabilités militaires s’est accentuée. Au quartier général de la Défense nationale, les personnes nommées pour des raisons politiques ont gagné en autonomie et le nombre de gestionnaires et d’analystes civils a augmenté. À mesure que le quartier général se bureaucratise, ceux qui préfèrent les structures traditionnelles éprouvent du ressentiment et démissionnent, mais les décideurs fédéraux poursuivent l’effort de civilianisation sans se préoccuper de la situation. La restructuration des commandements en 1975 a été l’un des domaines où les traditionalistes ont connu une certaine réussite. La plupart des moyens de l’armée de l’air ont été regroupés sous le commandement aérien, ce qui a permis de rétablir une division familière entre l’armée de terre, la marine et l’armée de l’air.
À la suite du processus de réunification, à la fin des années 1970, le concept de « force totale » s’est imposé dans les Forces canadiennes. L’idée était d’optimiser l’efficacité opérationnelle en intégrant étroitement les forces régulières et de réserve. Une telle intégration signifiait que les réservistes s’entraîneraient selon les mêmes normes que le personnel de la Force régulière et qu’ils auraient besoin d’un équipement modernisé. Cela signifiait également que les deux forces partageraient une administration de plus en plus centralisée. Le soutien à la restructuration de la force totale s’est poursuivi tout au long des années 1980 et a été préconisé par le Livre blanc de 1987 sur la politique de défense. À la fin de la Guerre froide, en 1991, le passage à la Force totale n’avait été que partiellement réalisé.
L’évolution des politiques de défense, des priorités budgétaires et des stratégies de mobilisation nationale, conjuguées à des difficultés administratives, ont entravé les efforts visant à une refonte plus profonde. Néanmoins, les responsabilités de la Force de réserve dans les opérations quotidiennes des Forces canadiennes ont été renforcées et sa participation aux opérations à l’étranger a augmenté. Parmi les changements administratifs importants, la responsabilité de l’administration du recrutement est passée des unités de réserve aux centres de recrutement des Forces canadiennes à la fin des années 1980. Un tel changement ne doit pas faire perdre de vue l’importance continue des unités de réserve puisque, comme dans le cas du recrutement, les unités de réserve restent importantes pour attirer les recrues et favoriser le soutien à l’armée au sein de leurs communautés locales.
En 1971, une Commission royale d’enquête sur la situation de la femme a émis de nombreuses recommandations visant à améliorer l’égalité des genres dans les Forces canadiennes. Presque toutes les suggestions de la Commission ont été adoptées, notamment l’autorisation pour les femmes mariées de s’enrôler, la normalisation des conditions d’enrôlement et des prestations de retraite, et l’autorisation de servir après une grossesse. Les femmes ont également eu davantage de possibilités de servir à l’étranger, notamment au sein des forces de l’OTAN en Europe et des forces d’urgence des Nations Unies au Moyen-Orient.
Ces réformes constituent un défi de taille pour la structure patriarcale de l’armée. Cependant, le ministère de la Défense nationale (MDN) a hésité à approuver la possibilité pour les femmes de s’inscrire à des cours non civils dans les collèges militaires et de servir dans des métiers et des professions de combat. En s’appuyant sur la Loi canadienne sur les droits de la personne de 1977, les Forces canadiennes ont été contraintes de réévaluer leurs politiques d’emploi. Le résultat a été qu’un nombre limité de femmes ont été acceptées dans des rôles proches du combat dans le cadre d’un essai. Parmi les rôles disponibles dans le cadre de l’essai figuraient des postes de pilotage d’avions, de véhicules et de navires de soutien, des travaux de maintenance à proximité des lignes de front et des déploiements dans des zones éloignées, telles que la station des Forces canadiennes Alert dans l’Arctique.
L’élimination des obstacles fondés sur le genre s’est poursuivie dans les années 1980. En 1985, une sous-commission parlementaire a recommandé de supprimer toutes les restrictions liées au genre dans les Forces canadiennes afin que l’armée soit conforme à la section sur les droits à l’égalité de la Charte des droits et libertés. L’armée de l’air est la seule à appliquer immédiatement les recommandations, tandis que les forces terrestres et navales attendent les résultats de leurs essais sur les femmes dans les rôles de combat. Avant que les essais ne soient terminés, la Commission canadienne des droits de la personne a enquêté sur des plaintes de discrimination sexuelle et, le 20 février 1989, elle a exigé l’élimination des obstacles liés au genre, à l’exception du service sur les sous-marins et dans l’aumônerie catholique romaine. Le ministère de la Défense accepte les changements et met en œuvre les réformes en 1991.