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La rébellion du Haut-Canada (1837-1838)
Introduction
Peu nombreux sont ceux qui pressentent que les revendications en faveur d’une réforme politique au Haut-Canada aboutiront à une rébellion armée. Pourtant, la combinaison de plusieurs facteurs contextuels avec les décisions fatidiques des représentants de la Couronne et du mouvement réformiste ouvrira la voie à une insurrection. La rébellion de 1837-1838 est principalement connue pour être à l’origine du rapport Durham, qui recommande l’unification du Haut-Canada et du Bas-Canada et prône la mise en place d’un gouvernement responsable, comme le demandent les réformistes. Le gouvernement britannique autorise l’unification des provinces dès 1840 à la suite du vote de l’Acte d’Union, mais il faudra attendre 1848, soit une décennie après la rébellion, pour que des mesures visant l’instauration d’un gouvernement responsable soient adoptées.
Si la rébellion de 1837-1838 demeure un jalon important de l’histoire de l’Ontario sur le plan politique, ses retombées et sa portée sont certainement bien plus concrètes et profondes pour les personnes directement mêlées aux événements dramatiques qu’elle précipite.
L’étincelle
Tout au long des années 1830, les réformistes du Haut-Canada critiquent la concentration du pouvoir exécutif entre les mains d’une clique d’administrateurs coloniaux, appelée le « Family Compact » (ou Pacte de famille). L’Acte constitutionnel de 1791 place l’administration de la colonie du Haut-Canada sous la direction d’un lieutenant-gouverneur nommé par le ministère des Colonies, une entité britannique. Bien que l’acte constitutionnel prévoie l’élection de représentants à l’Assemblée législative du Haut-Canada, dans les faits, cette dernière est impuissante puisque le lieutenant-gouverneur peut mettre son veto aux lois qu’elle vote. Les pouvoirs du lieutenant-gouverneur ne se limitent en outre pas à ce droit de veto : c’est également lui qui nomme les membres du Conseil exécutif, qu’il consulte sur les questions de gouvernance. De même, il nomme à vie les membres du Conseil législatif (ou Chambre haute), l’organe chargé de débattre et d’adopter les lois conjointement avec l’Assemblée législative. Les représentants élus exercent donc un pouvoir davantage symbolique que fonctionnel. C’est dans ce contexte qu’émerge le mouvement réformiste, qui préconise des réformes égalitaires et démocratiques. Parmi ses principales revendications figure la mise en place d’un gouvernement dit responsable, ce terme renvoyant à un concept britannique selon lequel les principaux organes gouvernementaux doivent rendre des comptes à des représentants élus plutôt qu’à des représentants de la monarchie nommés arbitrairement.
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Regardez cette vidéo d’Histoire Canada offrant un aperçu de la période des rébellions.
Les tensions entre les réformistes et les élites coloniales s’exacerbent en 1836. Dans une timide tentative d’apaiser le mouvement réformiste, le gouvernement britannique nomme sir Francis Bond Head à la fonction de lieutenant-gouverneur du Haut-Canada. À son arrivée à Toronto en janvier 1836, Bond Head commence à s’acquitter de son mandat en nommant deux réformistes modérés au Conseil exécutif : Robert Baldwin et le Dr John Rolph. Ces nominations ne représentent qu’une maigre concession, d’autant plus que Bond Head n’a aucune obligation légale de consulter le Conseil exécutif sur toutes les questions. Les réformistes bloquent les projets de loi de finances en guise de protestation, mais Bond Head riposte en dissolvant l’Assemblée législative. Au cours des élections de 1836, Bond Head dénonce vivement les réformistes en les taxant d’être des traîtres républicains, et rallie des tories à sa cause pour s’assurer la victoire. À la satisfaction du lieutenant-gouverneur, de nombreux candidats réformistes sont défaits. Parmi eux se trouve une figure de proue de l’aile radicale du mouvement réformiste : William Lyon Mackenzie.
Les résultats des élections de 1836 et l’opposition de Bond Head électrisent l’atmosphère politique du Haut-Canada. Pour autant, le mouvement réformiste ne se lance pas immédiatement dans une rébellion armée. Charles Duncombe, l’un des rares réformistes à être réélu aux élections, dépose une pétition au ministère des Colonies pour dénoncer l’ingérence de Bond Head, et accuse le lieutenant-gouverneur de fraude électorale. Les efforts de Duncombe se soldant par un échec, il se retire de la politique avec d’autres réformistes notables, dont Baldwin. C’est dans ce contexte d’obstruction politique que l’idée d’une révolte armée fait son chemin dans l’esprit des réformistes radicaux, et notamment de Mackenzie.
En novembre 1837, Mackenzie saisit une occasion inespérée. Une rébellion armée organisée par les réformistes au Bas-Canada contraint Bond Head d’y envoyer la garnison de troupes régulières britanniques du Haut-Canada ainsi que la garnison de Toronto. Les défenses du Haut-Canada ainsi affaiblies, Mackenzie pense qu’il peut rallier suffisamment de partisans pour prendre le contrôle de la province et imposer une réforme politique. C’est ainsi que, peu après le début de la rébellion du Bas-Canada, Mackenzie enfourche son cheval et remonte la rue Yonge à Toronto pour rassembler des partisans prêts à mettre fin au règne sans partage du Pacte de famille. Cet événement marque le début d’une rébellion qui souffrira d’un manque de moyens et d’organisation, mais comme en est certainement convaincu Mackenzie à l’époque, la chance sourit aux audacieux.
Le soulèvement initial
Au début du mois de décembre, Mackenzie et d’autres chefs rebelles ont réuni entre 700 et 800 partisans armés, recrutés dans la campagne autour de Toronto. La plupart d’entre eux sont des fermiers, des ouvriers et des artisans nés en Amérique du Nord. Les femmes aussi participent à la mobilisation, et ce, dans les deux camps. Bien que celles-ci ne prennent pas directement les armes d’après les sources historiques, elles contribuent au conflit en préparant les armements. Elles fondent par exemple du plomb pour fabriquer des balles, ou aiguisent les épées. Les femmes jouent également un rôle essentiel dans le renseignement et le soin des malades et des blessés. Les partisans du soulèvement sont bien entendu sensibles aux principes de la réforme démocratique et au leadership de Mackenzie, mais ce sont vraisemblablement la récession économique, les mauvaises récoltes, le manque d’argent et l’opposition populaire concernant la question de la concession des terres qui attiseront leurs ardeurs belliqueuses. Certains rebelles se laisseront aussi sans doute simplement emporter par l’excitation.
Quoi qu’il en soit, le régiment de Mackenzie, rassemblé à la hâte, quitte son point de rendez-vous à la taverne de Montgomery le 5 décembre et descend la rue Yonge pour s’emparer de la capitale provinciale. Toutefois, cette offensive ne reste pas sans opposition. Bond Head, qui lit aisément dans les intentions de Mackenzie, réunit des loyalistes pour défendre la ville. Les deux forces s’engagent dans un affrontement chaotique, mais la situation tourne à l’avantage des loyalistes. Au lieu de s’agenouiller ou de s’écarter, les rebelles des premiers rangs se jettent à terre afin de dégager une ligne de tir pour les troupes se trouvant derrière eux. Cette manœuvre peu conventionnelle laisse croire aux rebelles plus en arrière qu’une volée de plomb tirée par les loyalistes a décimé l’intégralité de leur ligne de front. La panique s’installe, et l’attaque de Mackenzie est repoussée.
Le lendemain, des troupes loyalistes arrivent en renfort pour défendre la ville. Parmi elles se trouvent 120 miliciens noirs, qui craignent l’instauration d’un gouvernement républicain et le retour de l’esclavage en cas de victoire de la rébellion. Dans l’état actuel des choses au Haut-Canada, l’esclavage est aboli depuis 1834, et les hommes noirs canadiens disposent du droit de vote depuis le 24 mars 1837. Les Canadiens noirs jouissent ainsi de davantage de droits que leurs homologues américains, et la rhétorique loyaliste joue sur leur crainte de perdre ces droits. Le colonel Allan MacNab, qui se voit confier le commandement du gros des forces loyalistes, fait également partie des renforts. Le 7 décembre, après avoir rassemblé entre 1 000 et 1 200 soldats au palais épiscopal de Toronto, MacNab lance une offensive contre l’armée de Mackenzie, à la taverne de Montgomery. En plus d’être armés de canons de campagne, les loyalistes sont en supériorité numérique. En quelques heures, l’armée rebelle est mise en déroute, et Mackenzie, accompagné d’environ 200 autres partisans, se réfugie aux États-Unis. Les Britanniques incendient la taverne de Montgomery en représailles de sa collaboration avec les rebelles. Son propriétaire, John Montgomery, est fait prisonnier, mais il parviendra plus tard à s’échapper aux États-Unis dans une évasion spectaculaire. Deux chefs rebelles, Samuel Lount et Peter Matthews, n’auront pas cette chance : ils seront capturés, puis pendus publiquement le 12 avril 1838. Leurs corps sont enterrés au cimetière de Potter’s Field, près de l’intersection des rues Yonge et Bloor.
La défaite des patriotes à la taverne de Montgomery anéantit l’ambition de Mackenzie de s’emparer de Toronto, mais les forces loyalistes doivent encore faire face à un second soulèvement dans les comtés de l’ouest du Haut-Canada. Alors que Mackenzie rassemble des forces pour attaquer Toronto, une fausse rumeur circule, laissant entendre que Mackenzie est déjà victorieux. Charles Duncombe, qui n’a pas encore eu vent de l’organisation d’une rébellion par les réformistes, se retrouve pris dans le flux des événements. Une autre information l’inquiète : Bond Head aurait autorisé son arrestation par mesure de prévention. Se sentant à la fois menacé par la perspective d’une incarcération et enhardi par la nouvelle de la réussite de Mackenzie, Duncombe décide d’organiser une révolte armée dans le district de London et parvient à rassembler une armée d’environ 400 hommes, d’après les estimations historiques. La plupart de ces rebelles viennent de Norwich et d’Oakland, et, dans une moindre mesure, des cantons de Yarmouth, Dereham, West Oxford, Blenheim et Dumfries. Mais aussitôt lancé, le mouvement de Duncombe s’essouffle. Le 13 décembre, il apprend non seulement que Mackenzie a en réalité été vaincu, mais aussi que l’armée loyaliste de MacNab est en approche depuis la ville voisine de Brantford. Pour couronner le tout, de nouvelles recrues, parmi lesquelles une centaine de guerriers autochtones provenant du territoire des Six Nations de la rivière Grand, viennent grossir les rangs de l’armée de MacNab alors que celle-ci marche en direction du sud-ouest. Le lendemain, l’armée de Duncombe commence à se disperser. Lui et d’autres rebelles fuient aux États-Unis pour se regrouper et échapper à l’arrestation. C’est ainsi que la deuxième armée rebelle est défaite, sans affrontement majeur. Mais MacNab, triomphant, est loin de se douter que la guerre des patriotes ne fait que commencer.
Les raids frontaliers pendant la guerre des patriotes
Par crainte que de nouvelles révoltes éclatent dans les comtés de l’ouest, des compagnies de milice sont postées temporairement dans de nombreux cantons de la région. La frontière est également renforcée par de nombreuses unités, dont certaines sont composées de Canadiens noirs, comme à Chatham, Sandwich, Hamilton, Niagara, St. Catharines et Toronto. Outre le déploiement d’unités militaires dans toute la colonie, le Haut-Canada adopte une loi draconienne autorisant la poursuite de toute personne soupçonnée de participer directement ou indirectement à la rébellion, et conférant une immunité juridique aux individus agissant dans le but de réprimer la rébellion.
Du côté américain de la frontière, Mackenzie et ses partisans patriotes sont accueillis chaleureusement lors de leur arrivée à Buffalo, le 11 décembre 1837. En effet, les Américains saluent leur audace d’avoir défié la Couronne britannique dans l’espoir de régler leurs griefs historiques. La récente idée selon laquelle les banques anglaises seraient responsables de la récession fait également partie des raisons qui poussent les patriotes à agir. Les États-Unis connaissent en outre une vague de romantisme militaire, qui se propage dans le sillage de la révolution texane. Fort du soutien américain et pouvant compter sur de nouveaux volontaires, Mackenzie envisage sa prochaine action. Les lois sur la neutralité empêchent Mackenzie de mener une guerre depuis le territoire américain, celui-ci décide donc d’occuper l’île Navy, qui se trouve du côté britannique de la rivière Niagara.
Le 14 décembre, Mackenzie établit son camp sur l’île Navy en compagnie de Stephen Van Rensselaer (un descendant du général Van Rensselaer, qui a combattu pendant la guerre de 1812) et de deux douzaines de volontaires. Un afflux de recrues provenant des deux côtés de la frontière renforce petit à petit les effectifs des patriotes sur l’île, qui finissent par compter entre 450 et 600 hommes. L’opération d’occupation de Mackenzie attire l’attention des autorités américaines, ce qui conduit à son arrestation. Celui-ci est toutefois libéré sous caution et regagne l’île. En réaction à l’occupation, MacNab déploie environ 2 000 soldats, parmi lesquels des centaines de guerriers autochtones alliés, à la frontière de Niagara. Plutôt que d’attaquer l’île, qui est défendue par des canons, MacNab ordonne au capitaine Andrew Drew et à 60 miliciens du Haut-Canada de détruire le navire de ravitaillement des rebelles. Le 29 décembre, Drew capture le Caroline au port américain Fort Schlosser, sur la rivière Niagara. Après avoir incendié le navire, Drew l’envoie en aval en direction des chutes Niagara, où il brûlera entièrement. Le manque de vivres et la rigueur de l’hiver pèsent lourdement sur le moral des patriotes, qui, défaits, abandonnent l’île Navy. Le plan de MacNab a fonctionné, mais « l’affaire du Caroline », comme sera baptisé l’incident, a pour conséquence collatérale d’irriter la population américaine. Après tout, MacNab a théoriquement enfreint la souveraineté territoriale des États-Unis et détruit un navire américain. L’occupation de l’île Navy se termine donc sur cet incident, qui ne fait que renforcer la ferveur des Américains à soutenir les patriotes.
Alors qu’une nouvelle année débute, la guerre des patriotes et leurs incursions sur les îles britanniques frontalières se poursuivent. L’île aux Bois Blancs, sur la rivière Détroit, fait partie des îles occupées. Une goélette des patriotes, le Anne, subit un feu nourri et s’échoue à Elliott’s Point le 8 janvier. Josiah Henson, qui deviendra plus tard l’un des célèbres conducteurs du chemin de fer clandestin et le fondateur de la colonie de Dawn, fait partie des assaillants. Il est accompagné de 50 volontaires canadiens noirs, qui parviennent à capturer l’équipage et la cargaison du Anne. En proie aux mêmes problèmes de ravitaillement que sur l’île Navy, les patriotes abandonnent rapidement l’île aux Bois Blancs. Plus tard en février, Duncombe participe aux préparatifs de l’occupation d’une autre île de la rivière Détroit, sur laquelle les patriotes ont jeté leur dévolu : l’île Fighting. Mais une fois encore, un défaut de ravitaillement contraint les patriotes à battre en retraite.
Les offensives des patriotes se poursuivent malgré les échecs à répétition. À la fin février, 300 soldats patriotes traversent les eaux gelées du lac Érié pour prendre possession de l’île Pelée. Le 3 mars, des troupes régulières britanniques, la milice du Haut-Canada et des guerriers des Six Nations affrontent les patriotes lors de la bataille de l’île Pelée. L’affrontement fait 11 morts, 44 blessés et 11 prisonniers dans le camp des patriotes, ainsi que 25 blessés et 5 morts du côté des forces britanniques. Van Rensselaer commande une autre opération d’occupation sur l’île Hickory, au sud de Gananoque. Comptant au départ seulement 50 hommes, la force patriote de l’île atteindra jusqu’à 300 individus, d’après les estimations. Van Rensselaer vise à faire de l’île une base pour mener un raid sur Gananoque et attaquer Kingston, sans défense à ce moment-là. Mais les préparatifs des patriotes sautent aux yeux d’Elizabeth Barnett, une enseignante américaine habitant à Gananoque, alors qu’elle se rend à Clayton dans l’État de New York pour rendre visite à sa famille. Stupéfaite, elle rebrousse chemin en toute hâte pour alerter les autorités britanniques. Cependant, le lieutenant-colonel Richard Bonnycastle est déjà au courant de l’invasion grâce à son réseau de renseignement, et des contre-mesures ont d’ores et déjà été prises. Vouée à l’échec, l’opération d’occupation des patriotes sur l’île Hickory s’essouffle. Quand Bonnycastle et ses miliciens se mettent en mouvement pour appréhender les rebelles, ils ne rencontrent aucune résistance et arrêtent 50 patriotes en route pour Kingston. Van Rensselaer est également arrêté plus tard par les autorités américaines.
La guerre des patriotes se poursuit au cours du printemps et de l’été 1838, même si le conflit perd en intensité. Conscients de la nécessité d’œuvrer dans une plus grande discrétion, les chefs patriotes restants créent les Loges des chasseurs, qui fonctionnent comme des sociétés secrètes. La majeure partie d’entre elles se situe près de la frontière américano-canadienne. Si les chasseurs patriotes se concentrent principalement sur la consolidation de leurs forces en vue de mener un assaut de grande ampleur à la fin de l’année, ils organisent aussi quelques opérations audacieuses pour amasser des provisions et rallier des partisans à leur cause.
L’une de ces opérations secrètes implique l’insaisissable et tristement célèbre Bill Johnston, dit « le Pirate », un ancien loyaliste qui s’est tourné vers la contrebande et la piraterie pendant la guerre de 1812. Le 30 mai 1838, Johnston et le « général » Donald McLeod mènent un petit groupe de chasseurs patriotes à l’assaut du Sir Robert Peel, un bateau à vapeur britannique amarré à French Creek, dans la région des Mille-Îles. Après avoir pillé le navire et ses passagers, les chasseurs de Johnston ne parviennent pas à démarrer le moteur du bateau. S’emparer du navire pour s’en servir comme transport pour les troupes patriotes n’étant plus une option, Johnston décide de l’incendier pour se venger de l’affaire du Caroline. L’attaque attire l’attention des autorités américaines. L’équipage de Johnston finit par être arrêté, mais ce dernier échappe aux autorités des deux côtés de la frontière en se cachant dans la région des Mille-Îles.
Le raid de Short Hills constitue également une incursion notable. Le 10 juin 1838, James Morreau, un Pennsylvanien, mène vers la péninsule du Niagara un petit groupe de patriotes, auquel se joindront plus tard des résidents sympathisants. Leur objectif est de convaincre les Six Nations de rejoindre la rébellion. Mais les patriotes changent leurs plans et saisissent une occasion de tendre une embuscade à un groupe de cavaliers miliciens appartenant aux Queen’s Lancers. Les Queen’s Lancers sont appréhendés, désarmés, puis libérés dans les bois, mais au dam des patriotes, d’autres unités de la milice ont vent de l’incursion. Ironie du sort, les guerriers des Six Nations se joignent aux Britanniques pour arrêter les rebelles alors que ces derniers tentent de fuir vers les États-Unis. À la fin de l’été, la guerre des patriotes n’a toujours produit aucun résultat concret.
La bataille du Moulin-à-Vent et ses conséquences
Le 12 novembre 1838, les chasseurs patriotes lancent leur grande offensive pour capturer le fort Wellington, dans le Haut-Canada. Cette attaque marque l’emballement de la guerre des patriotes. Mais dès son lancement, l’opération piétine. L’offensive n’a pas l’effet de surprise escompté : les deux goélettes transportant les forces des chasseurs patriotes essuient des tirs alors qu’elles approchent du port de Prescott, dans le Haut-Canada, pour débarquer les troupes. Le colonel Nils von Schoultz, confus, interrompt le débarquement et ordonne aux navires de se rendre de l’autre côté du Saint-Laurent, à Ogdensburg. Alors qu’ils se dirigent vers la rive américaine, les navires heurtent un haut-fond et s’échouent. Expérimenté en navigation fluviale, Johnston le pirate parvient à dégager l’un des bateaux en le délestant de sa cargaison. Tandis que des secours arrivent pour libérer le second navire, Schoultz mène un petit groupe de troupes en aval, en direction de Newport, dans le Haut-Canada. Une fois débarqués, les chasseurs patriotes prennent position dans un moulin à vent de six étages, perché sur une falaise surplombant le fleuve. Avec ses 18,3 mètres (60 pieds) de haut et ses murs de pierre de 1,2 mètre (4 pieds) d’épaisseur, la bâtisse a des allures de forteresse. Les habitants de Newport fuient le village, laissant environ 200 chasseurs patriotes occuper le moulin à vent et divers bâtiments.
La première unité britannique à mettre en défaut les rebelles est l’Experiment, un bateau à vapeur monomoteur commandé par le lieutenant William Newton Fowell. Bien qu’il ne soit armé que d’un canon de 18 livres et d’un canon à pivot de 3 livres, l’Experiment multiplie les attaques contre les navires des chasseurs patriotes, et notamment le United States, un grand vapeur volé par les rebelles dans un port américain. La supériorité navale des chasseurs est de courte durée : à leur arrivée, les autorités américaines parviennent à s’emparer des navires rebelles. En outre, deux vapeurs britanniques viennent prêter main-forte à l’Experiment pour tenir le fleuve Saint-Laurent. Le 13 novembre, les navires britanniques commencent à bombarder les chasseurs retranchés, qui ripostent avec des canons montés dans le moulin à vent. Des deux côtés, cette échauffourée n’a que peu d’effet.
Le 13 novembre, les forces britanniques, qui rassemblent entre 500 et 600 miliciens de Grenville, Dundas et Glengarry, ainsi qu’une centaine de soldats du 83e Régiment de Fantassins de l’armée régulière, arrivent à Newport et donnent l’assaut sur les rebelles barricadés. La bataille qui s’engage alors est féroce : des tireurs embusqués dans le moulin à vent font feu sur les troupes britanniques, des tirs de canons éclatent depuis la terre et la mer, et des affrontements au corps à corps ont lieu. Une famille n’ayant pas encore fui Newport se fait tirer dessus en tentant de s’échapper alors que la bataille fait rage. Mme Benden Taylor, sa fille et son enfant en bas âge meurent tragiquement. On ne sait pas exactement quel camp a tiré sur la famille. Finalement, les Britanniques décident d’arrêter l’attaque, replongeant l’affrontement dans une impasse.
Le troisième jour du siège, les forces britanniques reçoivent le renfort de 300 soldats réguliers, de 600 miliciens canadiens, d’un régiment de Highlanders vétérans ainsi que de deux canons de 18 livres. Schoultz refusant de se rendre sans condition, l’artillerie britannique déclenche des bombardements. Contre toute attente, les boulets de canon ricochent sur le moulin à vent. Moins solides, les bâtiments de Newport ne résistent pas aussi bien au pilonnage, qui réduit le village en poussière. Les forces britanniques et canadiennes commencent à incendier méthodiquement les ruines pour débusquer les tireurs isolés, ce qui conduit enfin les chasseurs patriotes à capituler. Les forces régulières britanniques sont contraintes d’escorter les prisonniers en lieu sûr, car de nombreux miliciens canadiens demandent leur exécution immédiate.
Les statistiques officielles concernant les pertes des deux camps restent controversées. Les registres officiels dénombrent seulement 13 tués et 69 blessés parmi les soldats britanniques et canadiens, mais selon les chiffres des chasseurs patriotes, les victimes se compteraient par centaines. Par ailleurs, les estimations des pertes parmi les chasseurs varient considérablement, allant de 17 à 50 morts. Le colonel Schoultz, le commandant de la campagne des chasseurs patriotes, est pendu à Kingston le 8 décembre 1838.
Si la guerre des patriotes dans le Haut-Canada atteint son paroxysme avec la bataille du Moulin-à-Vent, le coup de grâce est donné le 4 décembre, lorsqu’une armée de patriotes lance une nouvelle offensive par-delà la rivière Détroit et s’empare de la ville de Windsor. Le colonel John Prince mène la milice locale du Haut-Canada au combat et remporte la bataille de Windsor, mettant fin à la guerre des patriotes.
Pour certains patriotes, cependant, la défaite est difficile à admettre. Le 17 avril 1840, le monument Brock, érigé à la mémoire de l’héroïsme du major-général sir Isaac Brock pendant la guerre de 1812, est détruit par une bombe. Beaucoup soupçonnent que le sabotage est le fait de Benjamin Lett, un ancien patriote. Le monument finira par être reconstruit au bout de près de 20 ans de travaux.