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Pont Ball

Le 14 juillet 2011, la Fiducie du patrimoine ontarien, le canton d’Ashfield-Colborne-Wawanosh, la municipalité de Central Huron et l’association « Friends of Ball’s Bridge » ont inauguré, près d’Auburn (Ontario), une plaque provinciale destinée à commémorer la construction du pont Ball.

Voici le texte de la plaque :

PONT BALL

    Le pont Ball est érigé en 1885 pour relier Goderich, chef-lieu de comté, aux régions périphériques de l’est. La structure constitue un très bel exemple – rare désormais – de pont Pratt en treillis goupillé en fer forgé, à deux travées. Les entrelacements en V que l’on retrouve à plusieurs endroits du pont témoignent de l’attention que les concepteurs ont prêtée aux détails. Construit à l’époque des calèches, il continue à servir de point de passage principal sur la rivière Maitland jusqu’en 1989, date à laquelle on considère qu’il n’est plus en mesure de supporter le poids des véhicules modernes. Il est fermé à la circulation en 2006 et son avenir paraît alors bien sombre. Grâce au dévouement de l’association « Friends of Ball’s Bridge », il est entièrement restauré et modernisé et rouvert au trafic léger en 2007.

Historique

Introduction1

Le pont Ball se situe dans le comté de Huron, à 8,5 kilomètres (5,3 milles) à l’est de Goderich. Il enjambe la rivière Maitland au point de rencontre de trois des cantons originels du comté. Lors de sa construction en 1885, il permet d’établir un couloir de transport est-ouest entre Goderich, chef-lieu de comté, et les régions périphériques de l’Est. Quelques années plus tard, ce couloir se trouve supplanté par d’autres routes, notamment la route de comté 8, qui forme un axe nord-sud se dirigeant vers l’est, et la route de comté 15, qui suit un axe est-ouest menant vers le sud. Initialement prévu pour les chevaux et les calèches, le pont Ball n’est pas en mesure de répondre aux besoins de l’automobile de la fin du XXe siècle.2 En 2006, déclaré impraticable pour les véhicules modernes, il est fermé au public. Néanmoins, le pont Ball reste relativement en bon état, car il n’a jamais été soumis au salage d’hiver. Il est également devenu le reflet d’un mode de vie révolu; à ce titre, les citoyens du comté de Huron, émus par cette fermeture, mettent un point d’honneur à le protéger et à l’entretenir en raison de sa valeur culturelle et touristique.

Colonisation et transport

En 1826, l’octroi à la toute nouvelle Canada Company de 1 011 714 hectares (2,5 millions d’acres) de terrain compris entre les rives du lac Huron et l’actuelle ville de Guelph marque le début d’un ambitieux programme de colonisation.3 L’année suivante, la ville de Goderich est fondée à l’embouchure de la rivière Maitland en tant que siège de la société. Alors que cette société commerciale bat de l’aile, la colonisation gagne quant à elle du terrain. En 1841, le district de Huron est créé à partir du district de London et, en 1850, le comté de Huron est fondé en tant qu’entité administrative de la région. La ville de Goderich est constituée en personne morale cette même année.4 Amorcée dans les années 1830 et 1840, la colonisation de la région située autour de Goderich se reflète dans la création des administrations cantonales. La première administration municipale du canton de Goderich est constituée en 1835. Au nord, le canton de Colborne voit son administration inaugurale créée en 1836. Dans le canton de Hullett, plus à l’est, l’administration municipale est instaurée en 1848; dans le canton de Wawanosh, au nord des cantons de Hullett et Colborne, en 1852.5 Les statistiques démographiques de la région sont difficiles à établir avec certitude; néanmoins, les quelques chiffres existants reflètent la progression de l’administration municipale. La population du canton de Goderich est estimée à 1 673 habitants en 1846, alors que le recensement de 1851 (qui a été conservé) du canton de Colborne fait état d’à peine 1 000 âmes.6 Le canton de Hullett compte une population de tout juste 195 personnes au milieu des années 1840, alors que la colonisation du canton de Wawanosh – qui constitue à l’époque une seule grande entité – ne s’amorce pas avant le milieu des années 1840.7

La première route de la région, ancêtre de la route provinciale 8, est percée à travers la forêt à la fin des années 1820 et au début des années 1830 pour relier Goderich à Stratford vers le sud-est. Par la suite, une route reliant Goderich à London en direction du sud (l’actuelle route provinciale 4) est tracée.8 D’autres routes de comté et de canton sont aménagées à mesure de l’expansion coloniale de la région. Avant l’avènement du chemin de fer dans le Haut-Canada dans les années 1850, le transport s’effectue souvent par les voies navigables, à savoir les Grands Lacs et les principaux réseaux fluviaux. Malheureusement, la rivière Maitland, qui traverse le comté de Huron en décrivant des méandres en direction du sud-ouest avant de se jeter dans le lac Huron à Goderich, n’est pas adaptée au transport commercial. Peu profonde à certaines saisons, la rivière sillonne le comté en décrivant un long parcours sinueux. Le hameau d’Auburn, à la croisée des chemins entre les cantons de Colborne, de Wawanosh et de Hullett, se trouve à tout juste 10 kilomètres de Benmiller, localité également située sur la rivière Maitland près de Goderich. Par voie navigable, la distance est de 28 kilomètres. La rivière Maitland forme un obstacle au transport est-ouest entre Goderich et les régions périphériques de l’Est, particulièrement dans les zones où elle décrit un parcours vers le sud et vers l’ouest et marque la frontière entre Goderich et les cantons de Colborne et de Hullett. En 1879, trois ponts franchissent ce tronçon de la rivière Maitland : l’un à Auburn, dans le Nord; l’autre à Benmiller, dans le Sud; enfin, le pont Ball, situé à mi-chemin sur la route Little Lakes. Le pont de Benmiller date vraisemblablement du début des années 1830; les ponts d’Auburn et de la route Little Lakes, du début des années 1840 lorsque la colonisation s’amorce à l’est de la rivière. En décembre 1853, le comité des ponts et chaussées du comté préconise la construction d’un nouveau pont sur le site de la route Little Lakes, en précisant que la structure actuelle est « très dangereuse et susceptible d’être emportée par la prochaine crue [...] ».9 Le nouveau pont, achevé en 1856, est décrit plus tard comme une structure à quatre travées en bois, d’une longueur de 84 mètres (275 pieds) et d’un coût de 3 200 dollars.10

Le pont Ball à l’âge de fer

En 1885, bravant les intempéries et résistant à la circulation depuis trois décennies, le pont Ball est en état de détérioration. Les commissaires chargés des routes du comté de Huron sont appelés à formuler des recommandations sur sa rénovation ou son remplacement.11 Au cours de cette même période, le canton de Hullett s’est fortement développé. Situé dans le Sud-Ouest, Clinton est fondé dans les années 1830 et devient un village constitué en 1858 lorsque le chemin de fer de Buffalo et du lac Huron parvient à relier Goderich aux communautés du Sud.12 Dans le Nord, Londesborough accueille ses premiers colons au début des années 1850, tout comme Auburn, dans le nord-ouest du canton. Le chemin de fer de London, Bruce et Huron traverse le canton de Hullett en 1876, ce qui dynamise la croissance de la région.13 Au milieu des années 1880, la population d’Auburn atteint 450 habitants, alors que Clinton et Londesborough, désormais desservis par le chemin de fer, comptent respectivement 2 900 et 300 habitants.14 Il semblerait que cette accélération de l’activité et de la croissance économiques, associée à la dégradation du pont Ball, soit à l’origine de la décision du comté de Huron, en 1885, de construire un nouveau pont sur la rivière Maitland afin d’améliorer le couloir de transport entre le canton de Hullett et Goderich en direction de l’ouest.

En 1870, le fer forgé remplace progressivement le bois en tant que matériau de construction des ponts en Amérique du Nord.15 Plus durables et résistants au feu, les ponts en fer sont produits pièce par pièce par des sociétés spécialisées, expédiés par chemin de fer, puis assemblés par la main-d’œuvre locale.16 La Dominion Bridge Company fournit au moins un pont au comté de Huron en 1885; toutefois, le contrat relatif au pont Ball est remporté par la Hamilton Bridge Company.17 Le pont Ball constitue un parfait exemple de la technologie en matière de construction de ponts et de l’esthétique des années 1880. Il s’agit d’un pont Pratt en treillis goupillé à tablier inférieur18 : cette conception est brevetée et perfectionnée dans les années 1860 et 1870, et fait figure de précurseur des ponts en fer en treillis rivetés qui apparaissent dans les années 1890.19 Cette conception repose sur l’emploi de grosses goupilles en fer – plutôt que de rivets – qui assurent l’assemblage des pièces, et sur la présence d’un toit en ferronnerie qui forme un tunnel ajouré destiné au passage des véhicules. D’une longueur de 77,4 mètres (251 pieds), le pont est doté de deux travées de 38,7 mètres (127 pieds), solidement ancrées sur de larges culées et piles en pierre et en béton.20 Léger et exigeant peu de matériaux, le pont Ball – de type Pratt – est doté de motifs triangulaires symétriques complétés par un treillis de structure sur les principales pièces de soutien. Il sert à établir un lien entre les habitants de Goderich et de sa périphérie et les habitants du canton de Hullett pendant plus d’un siècle. En 1989, face à l’accroissement de la circulation et à l’augmentation de la taille et du poids des véhicules, le pont Ball fait l’objet d’une restriction liée à la charge maximale et est supplanté, en tant que principal point de passage sur ce tronçon de la rivière Maitland, par un nouveau pont et une nouvelle route, la route de comté 15, située plus au sud.21 En 2006, le pont Ball est fermé à la circulation et son avenir semble soudain incertain.

Le pont Ball : entre appréciation et conservation

La fermeture du pont Ball suscite l’indignation de la communauté voisine et mobilise les habitants, qui créent l’association « Friends of Ball’s Bridge » afin d’exercer des pressions en vue de sa rénovation et de sa conservation. Dans un premier temps, alors que d’aucuns remettent en question le bien-fondé du financement de la conservation d’un pont obsolète, les membres de l’association « Friends of Ball’s Bridge » font appel à des experts afin de déterminer la valeur patrimoniale du pont, alors que d’autres mettent en avant son intérêt touristique.22 À titre d’exemple, on invoque que les ponts en fer forgé goupillés sont aujourd’hui rares et que les ponts à deux travées le sont d’autant plus. En 2007, le conseil de comté décide du transfert de la responsabilité du pont aux cantons d’Ashfield-Colborne-Wawanosh et de Central Huron, accompagné d’une subvention de 250 000 dollars.23 Cette même année, le pont Ball fait l’objet d’une expertise de structure et d’une réparation, puis est rouvert au public.24 Le pont est traversé par un tronçon du sentier Maitland, élément très apprécié du patrimoine du comté de Huron. Une légende raconte que le jeune ingénieur du pont Ball tomba amoureux, puis épousa une fille de la famille Ball, qui possédait les terres situées à l’est du pont.25 Quelque 125 ans plus tard, conservant son aura romantique, le pont Ball attire encore les jeunes (et les jeunes en esprit) qui viennent y effectuer des promenades paisibles et réaliser des photographies pittoresques sur ses travées classiques.


La Fiducie du patrimoine ontarien tient à remercier Robert J. Burns, PhD, pour ses recherches qui ont facilité la rédaction de cet article.

© Fiducie du patrimoine ontarien, 2011, 2012


1 L’auteur tient à remercier Mme Beth Ross, directrice des services culturels du comté de Huron, M. Andrew Ross de B.M. Ross and Associates Ltd. et M. Roger Dorton, ancien ingénieur en chef du ministère des Transports de l’Ontario, pour leur assistance lors de la rédaction de ce document.

2 Observation formulée par M. Roger Dorton, ancien ingénieur des ponts du ministère du Transport de l’Ontario, lors d’un forum de l’association « Friends of Ball’s Bridge », Cheryl Heath, « Forum focuses on future of Ball’s Bridge », Clinton News, 25 octobre 2006.

3 « Canada Company », l’Encyclopédie canadienne.

4 Frederick H. Armstrong, Handbook of Upper Canadian Chronology and Territorial Legislation, London (Ontario), Lawson Memorial Library, Université Western Ontario, 1967, p.166-167.

5 Illustrated Historical Atlas of the County of Huron, Toronto, H. Beldon & Co., 1879, p. 16-19 et 23.

6 William Henry Smith, Smith’s Canadian Gazetteer: Canada West, 1846, Toronto, H. & W. Rowsell, 1846, ouvrage cité aux adresses URL http://www.rootsweb.ancestry.com/~onhuron/twp/goderich.htm et http://www.rootsweb.ancestry.com/~onhuron/twp/colborne.htm [en anglais uniquement].

7 « Hullett Township » [en anglais uniquement]; Illustrated Historical Atlas of the County of Huron, Toronto, H. Beldon & Co., 1879, p. 18-19.

8 Illustrated Historical Atlas of the County of Huron, Toronto, H. Beldon & Co., 1879, p. 6.

9 Procès-verbaux du conseil municipal des comtés unis de Huron et de Bruce, septembre 1853, Archives du comté de Huron [traduction libre].

10 Procès-verbaux du comté de Huron, juin 1879 et juin 1885, Archives du comté de Huron.

11 Procès-verbaux du comté de Huron, janvier 1885, Archives du comté de Huron.

12 « Town of Clinton », Illustrated Historical Atlas of the County of Huron, Toronto, H. Beldon & Co., 1879, p. 9-10.

13 « La fondation de Blyth », plaque provinciale de la Fiducie du patrimoine ontarien.

14 Ontario Gazetteer and Business Directory, 1886-87, Toronto, R. L. Polk & Co., 1886, p. 99, 263 et 572.

15 Norman R. Ball (éd.), Building Canada: a History of Public Works, Toronto, University of Toronto Press, 1988, p. 12-17.

16 Le pont Blackfriars (London) – autre pont en treillis en fer forgé – est produit selon le même procédé, puis assemblé en 1875. Une plaque provinciale ontarienne destinée à commémorer la construction du pont Blackfriars est dévoilée en 1986. Elle se trouve près du pont, dans la rue Blackfriars de London (Ontario).

17 Procès-verbaux du conseil de comté de Huron, juin et décembre 1885.

18 Un pont en treillis est constitué d’un ensemble de barres métalliques triangulées, en acier, en fer, en fonte ou en fer forgé. Un pont en treillis à tablier inférieur est doté d’un contreventement supérieur, qui donne à l’usager l’impression d’emprunter un tunnel.

19 Nathan Holth, expert en matière de technologie des ponts en fer et auteur du site www.historicbridges.org [en anglais uniquement]; consulter en particulier la page http://www.historicbridges.org/ontario/balls/overview.htm.

20 B.M. Ross and Associates Ltd., lettre au comté de Huron, 12 mars 1986; fichier sur le pont Ball, Archives du comté de Huron. Aucune explication n’a été trouvée quant à la différence de longueur entre le pont en bois des années 1850 et son remplaçant en fer de 1885.

21 Fichier sur le pont Ball, Archives du comté de Huron.

22 Cheryl Heath, « Forum focuses on future of Ball’s Bridge », Clinton News Record, 25 octobre 2006.

23 Fichier sur le pont Ball, Archives du comté de Huron. La province de l’Ontario a octroyé une subvention supplémentaire de 242 000 dollars, destinée à financer des réparations.

24 « Ball’s Bridge Reopens », Clinton News Record, 17 octobre 2007.

25 « Ball’s Bridge: the Bridge that Love Built, 1885 », brochure célébrant la restauration et la réouverture du pont Ball, 2008, fichier sur le pont Ball, Archives du comté de Huron. Le pont actuel est au moins le troisième du site; par conséquent, il n’est pas certain que cet ingénieur ait participé à la construction du « pont Ball ». Par ailleurs, le tronçon est du pont actuel est aujourd’hui situé sur une réserve routière municipale, alors que les précédents ponts étaient selon toute vraisemblance construits sur des terrains privés.