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Maison Bethune-Thompson
Le vendredi 7 septembre 2007 à 13 h 30, la Fiducie du patrimoine ontarien et Portes ouvertes Cornwall-Vallée du Saint-Laurent ont officiellement inauguré une plaque provinciale commémorant l’histoire la maison Bethune-Thompson. La cérémonie s’est déroulée dans le lieu historique, situé à Williamstown (Ontario).
Voici le texte de la plaque bilingue :
MAISON BETHUNE-THOMPSON
- Construite par le colon loyaliste Peter Ferguson en 1784, la cabane en bois équarri initialement installée sur ce site est l’un des plus anciens bâtiments conservés en Ontario. Les parois de la cabane furent construites selon une technique canadienne-française appelée poteaux sur sole, où des troncs équarris placés à la verticale sont fixés dans des rondins horizontaux situés en haut et en bas. La maison plus grande accolée à la cabane fut construite en 1804 par le révérend John Bethune (1751-1815), le 1er ministre presbytérien de la province du Haut-Canada. La construction de cette maison incorpora, elle aussi, une technique de construction canadienne-française, le colombage pierroté, à savoir une charpente en bois comblée par une maçonnerie en pierres brutes. Le fronton de la cheminée, installé par Bethune, est l’un des rares exemplaires encore visibles dans la province. En 1815, David Thompson (1770-1857) acheta la maison et y vécut jusqu’aux alentours de 1836. Thompson était un explorateur et un cartographe qui arpenta une grande partie de ce qui correspond aujourd'hui à l'Ouest canadien et participa au tracé de la frontière canado-américaine. La maison constitue un important témoignage architectural et historique du passé de la province de l’Ontario.
BETHUNE-THOMPSON HOUSE
- Built by Loyalist settler Peter Ferguson in 1784, the original log cabin on this site is one of the oldest surviving buildings in Ontario. The cabin walls were constructed using a French Canadian technique called poteaux sur sole where vertically placed, squared logs were held together by horizontal plates located along the top and bottom. The larger home adjoining it was built in 1804 by Reverend John Bethune (1751-1815), the first Presbyterian minister in Upper Canada. This home also incorporated a French Canadian construction technique, colombage pierroté, which used a timber frame filled with masonry rubble. The fireplace overmantle installed by Bethune is one of few remaining in the province. In 1815 David Thompson (1770-1857) acquired the house and lived here until about 1836. Thompson was an explorer and cartographer who surveyed much of what is now western Canada and mapped out the Canada-United States border. The house presents a unique architectural and historical record of early Ontario.
Historique
La maison Bethune-Thompson, située à Williamstown où elle surplombe la rivière Raisin, témoigne des goûts et des modes de vie variés de ses propriétaire au fil de quelque quatre périodes historiques. Chacun de ses occupants successifs en édifia ou en remania au moins une partie en utilisant des techniques architecturales et en fonction des styles décoratifs de son temps. Son état actuel représente un véritable catalogue de formes et de motifs qui ont contribué aux débuts de l’architecture en Ontario, avec quelques embellissements du 20e siècle. L’importance de la maison Bethune-Thompson réside également dans les méthodes employées par ses bâtisseurs : plusieurs des procédés utilisés dans sa construction sont tombés en désuétude dès la fin du 18e siècle et la demeure offre donc un exemple rare de plusieurs techniques anciennes de construction. Enfin, plusieurs propriétaires de la maison ont joué un rôle de premier plan dans l’histoire du Haut-Canada au début du 19e siècle et en particulier dans la mise en valeur de la région de Glengarry-Williamstown, notamment le révérend John Bethune, premier ministre presbytérien du Haut-Canada, et David Thompson, célèbre cartographe et explorateur, outre Peter Ferguson, le bâtisseur de la première maison construite sur le site en 1784.
1784-1804
La maison s’élève sur un terrain concédé à Peter Ferguson (1747-v. 1818), émigré écossais installé dans les colonies britanniques en Amérique qui servit au King’s Royal Regiment of New York, en reconnaissance partielle pour sa fidélité à la Couronne pendant la Révolution américaine. Ferguson s’installa sur son terrain dans le canton de Charlottenburgh, dans ce qui n’était pas encore la province du Haut-Canada, et y bâtit en 1784 une petite maison en bois équarri, comme sa concession l’y obligeait. Il dut toutefois attendre 1802 pour recevoir son titre de propriété en bonne et due forme.
Ferguson avait longtemps vécu à Montréal avant de s’installer dans la région et il construisit sa maison en utilisant un procédé canadien-français appelé poteaux sur sole, où des troncs équarris placés à la verticale sont fixés dans des rondins horizontaux situés en haut et en bas. Cette technique convenait bien à la vallée du Saint-Laurent, où abondaient les arbres de taille suffisante, permettait de réaliser des constructions résistant au rude climat de la région, et n’exigeait que des outils (et des compétences) rudimentaires. Comme de coutume dans ce genre de maison, seule la cheminée fut bâtie en pierres brutes noyées dans le mortier, selon le procédé mis au point au début du 17e siècle au Québec par les colons de Nouvelle-France. La maison était chauffée par un âtre à foyer ouvert de grandes dimensions et couverte d’un toit à deux versants sous lequel était disposée une vaste plate-forme destinée à recevoir les lits, accessible par un escalier à forte pente. Peter Ferguson fut l’un des membres fondateurs de la paroisse presbytérienne de Williamstown, ce qui explique peut-être pourquoi ce fut le révérend John Bethune qui lui acheta sa propriété en 1804.
1804-1815
John Bethune (1751-1815) était lui aussi un Écossais et un colon loyaliste. Reçu ministre de l’Église d’Écosse, il émigra en 1773 en Caroline du Nord avec plusieurs parents. En 1775, il entrait au régiment Royal Highland Emigrants en qualité d’aumônier, poste qu’il devait occuper tout au long de la Révolution américaine. Une fois la guerre finie, il rejoignit le 2e bataillon de son régiment, en garnison à Halifax, puis fut muté à Montréal auprès du 1er bataillon. En 1782, il épousa Veronique Waddens, fille d’un associé de la compagnie du Nord-Ouest, spécialisée dans la traite des fourrures. Le couple se serait installé en 1787 dans la région de l’actuel comté de Glengarry.
En 1804, Bethune acheta le terrain de Ferguson et y édifia une demeure plus grande, de style palladien, en incorporant l’édifice original qui devint l’aile sud et la cuisine d’été de la maison, laquelle fut dotée par ailleurs d’une aile nord pour faire pendant. La résidence ainsi créée — avec ses ailes symétriques, son porche à fronton,1 ses fenêtres régulièrement disposées — constituait un ensemble néo-classique du plus bel effet. Le nouveau maître des lieux était d’ailleurs, semble-t-il, fort soucieux de symétrie puisqu’il alla jusqu’à prévoir une fenêtre factice juste sur la droite de la porte d’entrée, à l’endroit où se trouve l’escalier intérieur.
Malgré l’allure bien anglaise de la demeure, les ouvriers de John Bethune utilisèrent eux aussi un procédé canadien-français, cette fois le colombage pierroté, c’est-à-dire une charpente en bois comblée par un clayonnage revêtu de boue, des pierres brutes et des briques pour en assurer la stabilité latérale. Il est vraisemblable que les briques aient lesté des navires venus d’Angleterre2 car le Haut-Canada n’en produisait pas à cette époque. La nouvelle maison était recouverte de tôle dite « à la canadienne », c’est-à-dire de bandes de fer-blanc entrecroisées en forme d’écailles. L’extérieur était crépi et peint en blanc. D’après leurs méthodes, peu courantes dans la région, il est vraisemblable que les bâtisseurs inconnus étaient originaires du Bas-Canada.
Bethune ne négligea rien pour que son intérieur fût soigné et confortable et les détails de l’aménagement — lambris, détails de l’escalier, moulures élégantes du chambranle de la porte d’entrée, boutons de porte en laiton, fronton de cheminée [à pilastres? à quarts-de-rond?] du salon, papiers peints à la mode d’alors imitant les motifs élisabéthains — sont d’excellente facture.
La maison devint la résidence du ministre de la paroisse presbytérienne St. Andrew’s de Williamstown, la première en Ontario. John Bethune, qui avait fondé la congrégation et donné l’impulsion à la construction de l’église en 1812, était pour sa part le premier ministre presbytérien du Haut-Canada. Bethune devait plus tard vendre à la paroisse la partie de la propriété sur laquelle s’élevait l’église et le terrain consacré au cimetière.3 À sa mort en 1815, sa veuve vendit la maison à David Thompson.
1815-v.1836
David Thompson (1770-1857) avait fait fortune comme associé de la Compagnie du Nord-Ouest. En 1815, il s’installe dans cette confortable maison avec son épouse, Charlotte Small, et leur famille de plus en plus nombreuse. À cette époque, Thompson avait déjà établi la carte de la plus grande partie de l’Ouest canadien.4 Entre 1816 et 1827, il consacre son énergie à un nouveau projet : établir la ligne de démarcation entre l’Amérique du Nord britannique et les États-Unis, le long du 49e parallèle, pour le compte de la commission chargée de tracer la frontière entre les deux pays. Ce n’est qu’une fois ce travail achevé qu’il peut rejoindre définitivement sa famille à Williamstown. Il n’y reste d’ailleurs pas inactif, car il continue jusqu’en 1833 d’exercer la charge, acquise en 1820, de juge de paix pour le district de l’Est du Haut-Canada.
Thompson est un propriétaire soucieux d’efficacité et de confort et il apporte à la maison toute une série de modifications — touchant la décoration, le chauffage, l’écoulement des eaux et l’accès à la cave ou motivées par les impératifs de l’entretien — qui témoignent du niveau de vie (et donc de confort domestique) de plus en plus élevé dans le Haut-Canada de l’époque. Par exemple, alors que la famille de Bethune s’était contentée d’un badigeon sur le torchis dans les pièces secondaires, Thompson les fait toutes revêtir de plâtre.
Mais surtout, du moins pour le visiteur d’aujourd’hui, Thompson procède à plusieurs remaniements qui modifient durablement l’apparence de la maison. Il supprime le porche à fronton de son prédécesseur pour édifier une galerie plus large à l’avant de la maison, ainsi qu’une autre à l’arrière, dans la tradition du style Régence anglaise. L’avant-toit légèrement bombé devient rectiligne et la petite fenêtre ovale du grenier, sur la façade, est remplacée par un pignon en forme de couronnement, visible de beaucoup plus loin.
Thompson et sa femme se consacrent à l’élevage et la propriété héberge dorénavant veaux, vaches, cochons et moutons. Malheureusement, David Thompson a trop prêté et mal placé son argent et sa situation financière se détériore.5 Il donne la maison en gage d’un emprunt, puis la vend à un concitoyen de Williamstown, Farquhar McLennan. Entre 1834 et 1836, il retourne à Montréal avec sa famille à la recherche d’un logement plus économique.
v.1836-1937
Pendant le siècle qui suit, la propriété change de mains quatre fois au sein de la même famille. Farquhar McLennan était Écossais d’origine, arrivé au Canada en 1802 à l’âge de 15 ans. Paroissien de l’église presbytérienne St. Andrew’s, il prend une part active à l’économie locale : outre l’exploitation agricole de la propriété, il est actif dans le commerce du bois et propriétaire d’une taverne. Son fils Murdoch et sa fille Catherine héritent du domaine à sa mort en 1846 et en demeurent conjointement propriétaires jusqu’en 1895. Murdoch McLennan avait servi dans la milice de Glengarry pendant la rébellion de 1837 et déploie lui aussi une activité économique diversifiée, faisant fortune comme tenancier d’hôtel, négociant de bois et propriétaire terrien. Devenu le principal notable du lieu, il fait grande figure installé dans la propriété où il campe le personnage d’un « laird » écossais.
Au décès de Murdoch McLennan, sa sœur Catherine en devient propriétaire unique, puis la transmet à leur neveu, Farquhar Robertson, qui en hérite en 1904 et la conservera jusqu’en 1929. Robertson reprend un temps l’exploitation agricole, mais ses affaires l’appellent bientôt à Montréal et la propriété ne sera plus pour lui qu’une maison de campagne. À son décès, son frère Kenneth reprend le domaine.
L’intérieur de la maison est profondément modifié entre 1904 et 1937. Au rez-de-chaussée et à l’étage, toutes les moulures et boiseries et tous les plâtres d’origine sont recouverts de nouveaux plâtres posés sur des lattis cloués à des tasseaux. Des plinthes plus modernes recouvrent les anciennes. La galerie avant subit d’importantes réparations et la galerie arrière est prolongée afin de permettre la pose de moustiquaires.
1937-1973
Kenneth Robertson vend la propriété en viager en novembre 1937 à son fermier, William Smart, conservant le droit d’y demeurer de son vivant. Il décède en 1943. William lègue la demeure à son fils, William fils, qui y vécut jusqu’à sa mort en 1977, avec son épouse Mae. Pendant que les Smart occupent la maison, ils y apportent très peu de modifications, à l’exception de quelques changements à la décoration des pièces, des travaux d’entretien extérieur et de l’installation d’un nouveau système de chauffage.
En 1966, le gouvernement du Canada désigne la maison Bethune-Thompson comme lieu historique national et une plaque fédérale y est apposée.
1977-présent
En juillet 1977, après le décès de William Smart fils, sa femme, Mae Smart, vend la maison à la Fondation (aujourd’hui Fiducie) du patrimoine ontarien afin d’en assurer la préservation dans l’avenir. (Onze ans plus tard, la Fiducie fait également l’acquisition du logement d’ouvriers agricoles voisin, bâtisse à charpente en bois d’œuvre qui date des années 1840.) La Fiducie adopte une stratégie de conservation de la maison Bethune-Thompson qui réunit diverses disciplines patrimoniales afin de relever et de restaurer systématiquement les éléments historiques du site et procède à des recherches archéologiques, architecturales et historiques approfondies avant de faire exécuter les travaux de restauration qui s’étalent entre 1985 et 1993. La maison Bethune-Thompson devient d’ailleurs un modèle que la Fiducie suivra dans ses autres projets semblables.
Afin de mettre la maison en valeur pour l’avenir, il était essentiel de conserver un maximum d’éléments historiques tout en assurant la stabilité de l’édifice. Il serait ainsi possible de révéler des aspects importants de son histoire et de sa conception tout en permettant aux occupants de continuer d’y habiter. La maison Bethune-Thompson est ainsi à la fois un monument historique de grande importance et une habitation fonctionnelle. Les travaux de restauration n’ont porté jusqu’ici que sur l’extérieur. Le moment venu, l’intérieur subira une restauration conforme à la destination éventuelle de la propriété. L’extérieur de la maison reconstitue aujourd’hui son aspect de 1830, lorsque David Thompson en était propriétaire.
Les fouilles archéologiques menées à la maison Bethune-Thompson en 1980, 1981 et 1993 ont mis à jour plus de 36 000 objets, y compris plusieurs bols de cuisine, un bocal de pharmacie datant de 1730 à 1830 environ, et des fragments d’une bordure d’assiette portant une bordure décorative à motif de plumes attribuée à la fabrique Wedgwood en Angleterre.
La cabane de 1784 est toujours debout, avec son âtre original, et forme aujourd’hui l’aile sud de la maison. Il s’agit de l’un des édifices les plus anciens de la province.6 Dans le corps principal, le salon et la salle à manger offrent des exemples de papier peint imprimé à la planche à la main. Posée vers 1825 pour John Bethune, cette décoration fut sauvée par les cloisons rajoutées par Thompson. Elle joue aujourd’hui un rôle important dans l’interprétation historique de la maison. Bon nombre de boiseries de style Georgian sont parvenues jusqu’à nous, notamment dans l’encadrement de la porte d’entrée, dans l’escalier et surtout dans le fronton de cheminée, l’un des rares ayant survécu dans la province. L’aile nord, rebâtie après un incendie, date des années 1930. La propriété compte également une remise pour voitures, dont certaines parties datent peut-être de 1800, ainsi qu’une habitation pour les ouvriers agricoles bâtie en 1840.
La Fiducie du patrimoine ontarien est extrêmement heureuse d’avoir fait l’acquisition de la maison Bethune-Thompson et de sa propriété, qu’elle peut à présent protéger, préserver et promouvoir au nom de la population de l’Ontario. Il existe dans la province d’autres exemples des diverses caractéristiques et particularités de la maison Bethune-Thompson, mais nulle part ailleurs ne sont-ils réunis sous le même toit, sans compter que certains des propriétaires successifs du domaine étaient des personnages intéressants qui ont joué un grand rôle en leur temps. La maison Bethune-Thompson nous offre une possibilité unique d’étudier et de mieux comprendre l’histoire de la colonisation et la vie quotidienne en Ontario, ainsi que l’évolution de l’architecture et du design sur plus de deux siècles.
© Fiducie du patrimoine ontarien, 2007
1 Démoli par David Thompson au moment de la construction des galeries à l’avant et à l’arrière de la maison.
2 Le poids du lest stabilise un navire à vide. Les vaisseaux étaient souvent lestés de rebuts de briqueterie. Parvenu à sa première destination, le lest était déchargé et le navire prenait sa véritable cargaison (laquelle consistait généralement, à cette époque en Amérique du Nord britannique, en fourrures et en bois d’œuvre) qui assurait son équilibre pendant le trajet de retour.
3 Bethune avait d’abord voulu faire don à la paroisse de cette partie de la propriété mais dut renoncer à ce projet pour des raisons juridiques.
4 Une rivière de Colombie-Britannique portant son nom rappelle son rôle dans la mise en valeur de l’Ouest.
5 David Thompson fait faillite en 1834, après avoir échoué dans toutes ses tentatives pour recouvrer les sommes prêtées à ses voisins et perdu 400 livres sterling que lui devait la défunte Compagnie du Nord-Ouest dans la banqueroute du syndic chargé de liquider les biens de celle-ci.
6 Il en existe deux autres datés de 1784 : la maison de Sir John Johnston, également à Williamstown, et la maison George Robertson, à Upper Canada Village (Morrisburg). Une aile de « The Manor », une maison de pierre située dans le comté de Prince Edward, date d’avant 1793.