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Le domaine Dale

Le 12 septembre 2012, la Fiducie du patrimoine ontarien, la ville de Brampton et le comité « Friends of the Dale Estate » ont dévoilé une plaque provinciale au parc Hollinger, à Brampton, en Ontario, pour commémorer le domaine Dale.

Voici le texte de la plaque :

LE DOMAINE DALE

    Les pépinières du domaine Dale jouent un rôle primordial dans l'expansion de Brampton et établissent sa réputation de « centre canadien de la floriculture ». Fondée en 1863 par Edward Dale pour vendre les légumes de son jardin, l'entreprise prend rapidement de l'essor en incluant la culture de roses en serre. Dès le début du XXe siècle, le domaine Dale emploie un quart de la population de Brampton et fait partie des plus grands producteurs de fleurs en serre au monde. L'entreprise doit son succès international en partie à la production de nouvelles variétés de roses et d'orchidées, ainsi qu'à la fameuse technique de la « rose autographiée ». Le domaine Dale continue de prospérer pendant toute la première moitié du XXe siècle, et ses nombreuses serres et sa grande cheminée deviennent des paysages emblématiques de la collectivité locale. Dans les années 1960, le domaine Dale est vendu et fusionne avec un autre producteur local pour former le domaine Calvert-Dale. Après un ralentissement progressif de sa production, l'entreprise ferme définitivement ses portes en 1980.

Historique

Des débuts modestes : 1863-1900

L’activité du domaine Dale débute modestement à Brampton en 1863 à l’époque où son fondateur, Edward Dale, fait du porte-à-porte pour vendre les légumes de son jardin. En l’espace de quatre années, il construit sa première serre, un bâtiment chauffé au bois.1 L’activité continue de se développer, en grande partie grâce à la proximité du marché de Toronto. La croissance de l’activité va de pair avec celle de la région de Brampton. Lorsqu’Edward Dale lance son activité, la collectivité connaît une croissance constante depuis plusieurs décennies. Grâce aux riches terres agricoles de la plaine de Peel, les premiers colons prospèrent en grand nombre dans le commerce du blé et la région attire fermiers, commerçants et mécaniciens. La population de Brampton passe d’environ 100 personnes dans les années 1830 à 550 personnes en 1850. En 1856, le chemin de fer du Grand Tronc exploite une ligne qui traverse ce qui constitue alors le village de Brampton et une gare est construite. Cette ligne de chemin de fer, permettant de relier le village non seulement à Toronto, mais aussi à des marchés plus éloignés, jouera un rôle essentiel dans la croissance du domaine Dale.

Dans les années 1870, le fils d’Edward, Harry Dale, convainc son père de consacrer une part des terres à la culture de roses, même si les légumes continueront de représenter une part importante de l’activité pour une bonne partie du reste du siècle.2 La passion de Harry pour les fleurs est un facteur déterminant pour le développement du domaine Dale les années suivantes, en particulier après le départ à la retraite d’Edward dans les années 1880. En 1885, l’entreprise est connue dans tout le pays pour sa « rose Dale », une fleur également appelée « rose du Canada » à l’étranger. En 1891, Harry remporte le prix de la plus belle rose au New York Flower Show.3

Le rythme de croissance s’accélère dans les années 1890. Entre 1896 et 1900, la famille Dale agrandit considérablement ses installations : le nombre de serres passe de 8 à 20, et la surface des cultures sous verre passe de près de 20 000 mètres carrés (65 000 pieds carrés) à plus de 45 000 mètres carrés (150 000 pieds carrés).4 Au décès de Harry en 1900, l’entreprise florissante emploie 40 personnes. La réussite de Harry est saluée par ses pairs à sa mort; des fleuristes de partout au Canada, des États-Unis et même de Grande-Bretagne et d’Allemagne lui rendent hommage au moyen d’arrangements floraux.5

Le « centre de la floriculture » : 1900-1961

À la mort de Harry, le domaine Dale tombe sous la tutelle de T.W. Duggan, administrateur délégué et comptable de Harry, et de William Algie, le gendre de Harry.6 M. Duggan est alors un membre influent de la collectivité de Brampton dont il est le maire de 1912 à 1913.7 Sous la direction de M. Duggan, l’entreprise continue de connaître une croissance rapide. La réputation du domaine est telle qu’au tournant du siècle, il reçoit la visite de la famille royale. Le duc et la duchesse d’York font une escale à Brampton en 1901 et sont impressionnés par la taille et la beauté des roses Dale.8 En 1903, le domaine Dale est connu pour être le plus grand complexe de serres à Brampton en 1905, et l’entreprise compte 150 employés.9

Le domaine Dale met au point de nouvelles variétés de roses, comme la Canada Queen, la Lady Canada, la Lady Willingdon, la Rosedale, la Dorothy Dale et la Sunbeam.10 Il produit également à un prix abordable des fleurs jusqu’alors chères et exotiques, telles que les orchidées. La fleur est introduite dans les serres du domaine Dale en 1911 et en 1915, ce sont plus de 60 000 orchidées qui sont cultivées chaque année.11 Au début de la Première Guerre mondiale, le domaine Dale fait partie des plus grands producteurs de fleurs en serre au monde.12

Dans les années 1920, la production du domaine Dale a atteint près de la moitié du total canadien. L’entreprise emploie plus de 350 personnes et commercialise 30 variétés différentes de fleurs, notamment 18 variétés de roses primées.13 En 1920, les variétés présentées par le domaine Dale dans la catégorie des roses à l’exposition d’horticulture de l’Ontario remportent toutes le premier prix.14 À cette époque, les exploitations pratiquant la culture en serre sont nombreuses à Brampton, mais le domaine Dale est de loin la plus importante. En 1930, le domaine Dale est reconnu comme le premier distributeur de fleurs au Canada, le plus gros employeur à Brampton et la troisième exploitation pratiquant la culture en serre dans le monde avec plus de 14 hectares (35 acres) sous verre.15 Lorsque T.W. Duggan prend sa retraite en 1933, William Beatty, un autre gendre de Harry Dale, reprend la gestion de l’entreprise.16

Pour chauffer les serres du domaine Dale, un vaste complexe de chaudières est installé; il comprend près de 610 mètres (2 000 pieds) de tunnels souterrains, sept chaudières au charbon, de nombreux kilomètres de conduites de chauffage et une cheminée de 91 mètres (300 pieds) de hauteur.17 La cheminée Dale devient rapidement l’une des curiosités les plus connues à Brampton et le sifflet de la compagnie ponctue le début, le milieu et la fin de la journée de travail de la ville. Les tunnels sont également appréciés des habitants, en particulier des enfants, qui les empruntent souvent pour se rendre à l’école durant les froides journées d’hiver.18 Un ligne secondaire spéciale reliée au Chemin de fer Canadien Pacifique est construite pour la livraison de charbon au complexe en toutes saisons.19

Tout au long de cette période, la rose continue d’être la spécialité du domaine Dale. En 1934, Harry Algie, l’un des petits-fils de Harry Dale, lance la rose autographiée. Après avoir sélectionné les roses à longue tige de la plus haute qualité, les préposés à la manutention utilisent un outil pour perforer le mot « Dale » dans l’une des feuilles de la rose.20

Les visites de serres deviennent populaires dans les années 1940 et 1950, ce qui permet à l’industrie de profiter à la fois du tourisme et de l’activité de vente de fleurs coupées.21 Les habitants de Brampton sont tout à fait conscients de l’importance de l’entreprise, et dans l’ouvrage Brampton Centennial Souvenir 1853-1953, davantage d’espace est consacré à la culture en serre qu’à tout autre aspect de l’économie locale.22 Le guide invite également celles et ceux qui sont venus assister aux festivités du centenaire à « venir profiter des kilomètres de belles promenades parmi les fleurs »23 et cite le domaine Dale comme étant « l’une des plus belles attractions touristiques de Brampton ».24

Même si le domaine Dale est un important employeur local, les salaires y sont peu élevés, les avantages sociaux relativement modestes et les heures de travail y sont longues. Néanmoins, le prestige d’être un « homme de Dale » et le privilège de travailler dans un environnement propre et stable permettent d’assurer la loyauté des employés de longue date.25 T.W. Duggan est connu pour avoir recruté des spécialistes à l’étranger; c’est le cas par exemple de Charles Bacon, arrivé d’Angleterre en 1910 et qui travaillera au domaine pendant 50 ans.26

Le maintien de la prospérité de la culture en serre à Brampton durant cette période contribue à préserver la stabilité de la situation financière de la ville tout au long de la Deuxième Guerre mondiale et durant l’après-guerre. En 1956, le domaine Dale cultive plus de 20 millions de fleurs dans ses 140 serres, soit environ 45 pour cent des 48 millions de fleurs cultivées en Ontario cette année-là.27 La longévité de l’entreprise signifie également que certains employés expérimentés de Dale réussissent à créer leur propre entreprise, ce qui favorise le développement de l’industrie locale. Par exemple, après avoir travaillé au domaine Dale pendant de nombreuses années, Walter Calvert fonde ce qui deviendra le deuxième plus grand complexe de serres à Brampton.28 Pour célébrer l’importance de l’industrie de la floriculture, Brampton inaugure son festival de la fleur en 1963.29

Le déclin : 1961-1980

Alors que Brampton célèbre ses serres, le secteur est confronté à de nouveaux défis : la hausse des coûts énergétiques, une concurrence accrue pour la main-d’œuvre qualifiée et la disponibilité de produits – de moindre qualité, mais moins chers – importés de l’étranger grâce à l’avènement du transport aérien.30 Le domaine Dale doit également faire face à la concurrence d’entreprises pratiquant la culture en serre, comme l’entreprise Walter E. Calvert Limited, laquelle a investi massivement dans les technologies modernes de culture en serre en 1959.31

L’histoire du domaine Dale en tant que producteur indépendant de fleurs en serre, qui aura duré 100 ans, prend fin en 1961 lorsque Federal Farms, filiale de Weston, rachète l’entreprise. Même Calvert doit lutter pour rester concurrentiel dans le nouveau climat économique; son entreprise est finalement rachetée par Federal Farms en 1965. Peu après, les deux sociétés fusionnent pour former le domaine Calvert-Dale et l’équipe de gestion de Calvert prend le contrôle du groupe, mettant ainsi fin à l’influence de la famille Dale dans l’entreprise. Même si elle continue de produire 20 pour cent de la production de fleurs coupées au Canada, la production de fleurs de la nouvelle entité est inférieure à celle des deux entreprises prises séparément 10 ans auparavant.32

Les tentatives de modernisation des serres et d’autres installations s’avèrent extrêmement onéreuses, et lorsque les prix du pétrole explosent dans les années 1970, le coût d’entretien des serres devient impossible à gérer.33 Au milieu des années 1970, plus de 90 000 mètres carrés (300 000 pieds carrés) de serres et de fleurs sont abandonnés et l’entreprise commence à se séparer de ce qu’elle considère comme des terrains excédentaires. Les difficultés rencontrées par le domaine Calvert-Dale sont le reflet du déclin généralisé de l’industrie de la floriculture à Brampton. En 1963, la ville compte 48 producteurs de fleurs en serre. En 1975, ils ne sont plus que 14.34 La hausse des prix du pétrole, l’évolution des goûts des consommateurs et l’explosion de a population de Brampton sont autant de facteurs contribuant au déclin de l’industrie. En 1972, la ville de Brampton modifie le zonage des vastes terres agricoles qui dominaient à l’extrémité nord pour favoriser le développement résidentiel, essentiellement les logements familiaux. En 1975, les dernières serres sont démolies les employés du domaine Calvert-Dale congédiés. Sans ses serres, l’entreprise déménage à Hamilton et s’attache à vendre les terrains qui lui restent. L’entreprise ferme ses portes en 1980.35

Conclusion

Le domaine Dale, fondé en 1863, a joué un rôle important dans l’expansion de Brampton. Ses fleurs ont contribué à établir sa réputation de « centre canad floriculture ». Dans les années 1890, le domaine Dale est connu à l’échelle internationale pour la qualité de ses roses et est devenu, au tournant du siècle, l’une des plus grandes exploitations pratiquant la culture en serre en Amérique du Nord. L’entreprise a dû son succès en partie à la production de nouvelles variétés de ro ainsi qu’à la fameuse technique de la « rose autographiée ». Le domaine Dale a continué de prospérer pendant toute la première moitié du XXe siècle et a été le chef de file de l’industrie des fleurs coupées en Ontario, générant à lui seul la moitié de la production provinciale en 1956. Grâce à ses assises agricoles, à l’utilisation des de chemin de fer le reliant à Toronto, à sa croissance rapide et à son recours à l’innovation et à la diversification, l’histoire du domaine Dale à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle a fait écho à celle de la ville de Brampton tout entière. Considéré comme le plus grand producteur de fleurs dans le « centre canadien de la floriculture » le domaine Dale a non seulement été le reflet de la collectivité de Brampton, mais l’a éfini pour les générations à venir.


La Fiducie du patrimoine ontarien tient à exprimer sa gratitude à Peter Anderson pour le travail de recherche effectué dans le cadre de la rédaction de cet article.

© Fiducie du patrimoine ontarien, 2012


1 O’Hara, Dale, Acres of Glass: The Story of the Dale Estate and How Brampton Became ‘The Flower Capital of Canada’ (Toronto: east end books, 2007), 12.

2 Acres of Glass, 25; 55. Brampton: Inspired Capacity (Shelbourne, Ont: Charles Own and Company, 2003), 55.

3 Acres of Glass, 26.

4 Acres of Glass, 30.

5 Brampton Centennial Souvenir, 1853-1953 (Charters Publishing Company, 1953), 47.

6 Loverseed, Helga V., Brampton: An Illustrated History (Windsor Publications Inc., 1987), 108.

7 Seaman, Albert, Heritage Brampton: An illustrated review of some fine old buildings in the City (Brampton: City of Brampton Heritage Board LACAC, 1979), 29.

8 Acres of Glass, 45.

9 Brampton: Inspired Capacity, 55.

10 Brampton Centennial Souvenir, 47.

11 Brampton: An Illustrated History, 108.

12 Acres of Glass, 57.

13 Acres of Glass, 69-70.

14 “Ontario Historical Exhibition” dans The Canadian Florist, 25 novembre 1920, 331-334.

15 Acres of Glass, 74.

16 Acres of Glass, 79-80.

17 Brampton: An Illustrated History, 144.

18 Acres of Glass, 87-88.

19 Acres of Glass, 85-87; Salisbury, Lionel, Now & Then: A photo journey through Brampton (Brampton : Lionel et Robert Salisbury, 1989), 62-64.

20 Brampton: An Illustrated History, 108.

21 Brampton: Inspired Capacity, 57.

22 Brampton Centennial Souvenir, 47.

23 Brampton Centennial Souvenir, ii.

24 Brampton Centennial Souvenir, 2.

25 Acres of Glass, 100, 116; Brampton: An Illustrated History, 170.

26 Acres of Glass, 51.

27 Greenhouse Industry (Ottawa : Bureau fédéral de la statistique, Section des cultures, 1956-1980).

28 Brampton: Inspired Capacity, 55.

29 Acres of Glass, 128; Brampton: Inspired Capacity, 55.

30 Acres of Glass, 121-124; Brampton: Inspired Capacity, 57.

31 Acres of Glass, 131.

32 Acres of Glass, 125, 131-132; Now & Then, 68.

33 Acres of Glass, 135-140.

34 Acres of Glass, 141.

35 Acres of Glass, 139-144; Brampton: Inspired Capacity, 57.