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La fondation d'Iroquois Falls

Le 1er octobre 2009, la Fiducie du patrimoine ontarien, l’équipe de développement de la communauté d’Iroquois Falls ainsi que la ville d’Iroquois Falls ont dévoilé une plaque provinciale au club de curling de la ville pour commémorer la fondation d’Iroquois Falls.

Voici le texte de la plaque bilingue:

LA FONDATION D’IROQUOIS FALLS

    Les premiers habitants de la région sont des peuples autochtones, attirés par l'abondance des ressources naturelles et l'étendue des voies navigables. Les Européens arrivent à la fin des années 1600 pour faire l'acquisition de fourrures et établir un commerce avec les Premières nations. Au début des années 1900, l'homme d'affaires montréalais Frank Anson prend conscience du potentiel de la région pour la fabrication de papier et, en 1912, il se voit accorder, avec Shirley Ogilvie, une concession de bois à pâte de plus d'un million d'acres. Il supervise alors la création de la Abitibi Power & Paper Company, Limited, la plus grande usine de papier journal de l'époque en Amérique du Nord. L'expansion du Temiskaming and Northern Ontario Railway contribue à favoriser le développement et la croissance rapide de la région. Initialement propriété de la société qui l'a bâtie, la ville d'Iroquois Falls est constituée en personne morale en 1915. Le grand incendie de 1916 détruit une grande partie de la ville, mais la collectivité renaît de ses cendres. En 1920, Frank Anson entame un programme d'embellissement incorporant certains des concepts d'aménagement d'une cité-jardin, qui subsistent encore de nos jours.

THE FOUNDING OF IROQUOIS FALLS

    This region’s first inhabitants were aboriginal peoples who were attracted by its abundant natural resources and extensive water routes. Europeans arrived in the late 1600s to acquire furs and establish trade with the First Nations. During the early 1900s, Montreal businessman Frank Anson recognized the region’s potential for paper manufacturing and, in 1912, he and Shirley Ogilvie were granted a pulpwood concession of over one million acres. Anson oversaw the establishment of Abitibi Power & Paper Company, Limited – the largest newsprint mill in North America at the time. The extension of the Temiskaming and Northern Ontario Railway further supported the development and rapid growth of the area. Initially a company-owned and planned town, Iroquois Falls was incorporated in 1915. The Great Fire of 1916 destroyed a large portion of the town but the community was able to rebuild. In 1920, Anson initiated a beautification program that incorporated some elements of Garden City planning ideals, which remain evident today.

Historique

L’environnement, les premiers habitants et les contacts établis

Le milieu physique induit par le retrait de l’Inlandsis laurentidien, il y a environ 10 000 ans, a joué un rôle déterminant dans la fondation d’Iroquois Falls. Le lit du lac glaciaire Barlow-Ojibway a généré un sol lourd à l’origine de la grande ceinture d’argile (Great Clay Belt) qui recouvrait le Nord de l’Ontario et le Québec. Une forêt composée en grande partie d’épinettes noires a poussé sur ce terrain au profil plat; les dépôts épars de sol sableux étant quant à eux propices aux pins gris. Des bouleaux blancs et peupliers ont également poussé au milieu de ces espèces sur des terrains accidentés. L’eau était un composant essentiel du terrain de la région, au sein duquel abondaient rivières, lacs et marécages.1

La zone qui entoure Iroquois Falls – une cataracte sur la rivière Abitibi dans la grande ceinture d’argile du Nord de l’Ontario — était à l’origine le territoire des peuples ojibway (groupes de Nipissing et Dokis),2 dont le mode de vie était basé sur la chasse, la pêche et le commerce. Les Ojibways ont continué à vivre de la même manière des dizaines d’années après l’arrivée des premiers Européens. Ces derniers se sont en effet introduits dans la région à la fin des années 1600 pour établir un commerce de fourrure. La voie navigable sur la rivière Abitibi qui part d’Iroquois Falls vers l’est jusqu’au lac Abitibi et au Québec était l’un des principaux moyens de transport utilisés par les Premières nations. Elle a ensuite été exploitée par les explorateurs et les négociants en fourrure pendant des siècles.

Selon la tradition orale des Autochtones, le nom du site actuel d’Iroquois Falls provient de l’épisode suivant : les Ojibways qui habitaient la région ont un jour repéré une flotte d’Iroquois armés qui remontaient la rivière en canoë. Les Ojibways auraient déjoué l’attaque en précipitant ou poussant les Iroquois vers les chutes dont la hauteur avoisine les 4,50 m, provoquant ainsi leur mort.

Les Européens sont arrivés pour la première fois dans la région à la fin du XVIIe siècle. Français et Anglais, qui étaient principalement attirés par les précieuses fourrures de castor, ont cherché à prendre le contrôle de la région en y établissant chacun des comptoirs, le premier étant apparu en 1686 sur les rives du lac Abitibi. Malgré les maladies apportées par les Européens auxquelles les Premières nations étaient vulnérables et la chasse sans précédent aux animaux à fourrure, les populations autochtones de la région ont réussi à adapter leur mode de vie traditionnel aux nouveaux venus pendant de nombreux siècles.3

L’avènement de l’industrie

Les voies ferrées ont été construites dans le Nord-Est de l’Ontario au tournant du XXe siècle. Elles ont attiré de nombreux colons dans la région et ont permis que ses vastes ressources atteignent les marchés. Le gouvernement de l’Ontario s’est quant à lui vivement prononcé pour faire de la région la nouvelle frontière agricole de la province. Afin de faciliter la réalisation de cet objectif titanesque, il a fait construire le Temiskaming and Northern Ontario Railway (T.& N.O.). La première ligne, qui reliait North Bay à Cochrane a facilité la colonisation du territoire. Néanmoins, les difficultés colossales liées au défrichement de la forêt puis à l’exploitation des terres sur un terrain aride assorties des extraordinaires découvertes de gisements d’argent et d’or respectivement à Cobalt et Porcupine au début des années 1900 ont entraîné un changement de perspective : c’est l’exploitation minière et non l’agriculture qui finit par attirer la plupart des colons dans la région.

Frank Harris Anson, originaire du Michigan et homme d’affaires montréalais, prit la ferme résolution de découvrir de l’or dans le bassin d’Abitibi. Avant de se rendre dans le Nord de l’Ontario, il avait exploré la rivière Orinoco en Amérique du Sud à la recherche de caoutchouc. Si les deux étudiants de l’Université McGill qu’il avait embauchés ne découvrirent pas un filon dans la région, ils firent état à leur retour de la présence d’immenses forêts d’épicéas et de la possibilité d’utiliser l’énergie hydraulique. La visite que fit Anson dans la région confirma le rapport des deux étudiants; il décida alors de se consacrer au développement d’une gigantesque usine de papier journal dans l’arrière-pays. Alors que ses détracteurs parlaient du projet comme de la « folie Anson », il se rendit compte avec son partenaire Shirley Ogilvie qu’une usine implantée dans un lieu où les coûts de transport vers les marchés émergents de papier journal du Midwest américain seraient moindres présenterait plus d’avantages économiques qu’une usine située plus à l’est.4

Au milieu de l’année 1912, le gouvernement lança un appel d’offres pour la concession de bois à pâte d’Abitibi d’une superficie de 4 040 km² et promit d’accorder au vainqueur un bail pour utiliser l’énergie hydraulique d’Iroquois et Couchiching Falls.5 Anson et Ogilvie remportèrent l’appel d’offres, mais au cours des négociations le gouvernement manifesta son désir d’accélérer la colonisation du Nord et son intention de conserver certains pouvoirs sur la nouvelle industrie. Anson chercha à obtenir des privilèges exclusifs pour sa concession de bois à pâte, mais le gouvernement estima que de telles prérogatives pourraient mettre à mal la colonisation du territoire. Lorsque le ministre Howard Hearst annonça les conditions du contrat, il souligna que « les terres sur lesquelles s’élève la concession de bois à pâte ne sont pas exemptes d’être vendues ou colonisées, et qu’il n’y a par conséquent ni monopole ni occupation du terrain ». Il a par ailleurs déclaré que les colons pouvaient désormais vendre les épicéas qu’ils coupaient à des prix plus élevés.6 En quelques années, les colons revendiquèrent des centaines d’acres situés près de l’usine. De même, lorsqu’Anson négocia les baux en vue de développer l’énergie hydraulique pour son entreprise, le gouvernement de l’Ontario présenta des contrats qui ne lui accordaient qu’une faible marge de manœuvre et limitaient sa capacité à générer de l’électricité.7

Naissance d’Abitibi et d’Iroquois Falls

Anson était néanmoins déterminé à réfuter ses détracteurs; il fit une grande avancée en créant son entreprise à Iroquois Falls, qu’il nomma Abitibi Power & Paper Company, Limited.8 En 1913, une ligne secondaire de T. & N.O. parvint jusqu’à Iroquois Falls. En 1915, l’usine fabriquait quotidiennement 225 tonnes de papier journal, autant que le permettait son alimentation électrique. À la fin de la décennie, la capacité de production de l’usine s’était accrue pour atteindre les 500 tonnes par jour; elle était devenue la plus grande usine de papier journal de l’époque en Amérique du Nord.9 Avec la croissance fulgurante de l’usine d’Anson et d’Iroquois Falls, l’industrie du papier journal devint un des piliers économique et social du Nord de l’Ontario.

Avec acharnement, Anson mettait sur pied une ville de compagnie pour les employés d’Abitibi, un modèle classique d’une communauté frontière. Ces plans reflétaient les idées du mouvement des cités-jardins britanniques et américaines qui associaient esthétique et fonctionnalité dans la conception des centres urbains.10 Pour les villes construites par une seule compagnie, cela signifiait des communautés indépendantes pourvoyant à tous les besoins de leurs habitants. Les plans de la ville d’Iroquois Falls, esquissés par un cabinet d’architecture de Chicago,11 séparaient les zones résidentielles des zones industrielles. L’usine était située dans une zone industrielle, tandis que les rues résidentielles de forme curviligne se croisaient de façon régulière. Au centre du plan, se trouvait « le centre-ville », doté d’un grand parc et de commerces. Si les maisons étaient organisées de façon à séparer les différentes classes socio-économiques de la communauté (maisons unifamiliales pour les directeurs et administrateurs, maisons jumelées pour les employés), chacune possédait un certain charme : il y avait des pelouses et des jardins, tandis que les égouts et les lignes hydro-électriques étaient situés dans des allées à l’arrière des maisons. L’entreprise fit également construire un hôtel, une mairie ainsi que des installations sportives pour répondre aux besoins sociaux et de loisirs des premiers résidents d’Iroquois Falls, pour la plupart originaires des villes de l’industrie de pâtes et papiers de Nouvelle-Angleterre. En 1915, Iroquois Falls fut constituée en personne morale par l’Ontario Railway and Municipal Board. Dans les années 1920, Abitibi poursuivit l’embellissement de la communauté par l’ajout de jardins d’agrément le long de la rue principale de la ville et d’un terrain de golf situé entre l’usine et la ville.12

Le grand incendie de 1916 ravagea une grande partie du Nord-Est de l’Ontario; il détruisit considérablement Iroquois Falls et les collectivités alentour. La scierie d’Abitibi fut sauvée grâce à la détermination des employés. Iroquois Falls et les communautés environnantes furent ensuite reconstruites.

Les employés qui souhaitaient travailler pour l’usine d’Abitibi mais ne pas vivre dans la communauté prévue purent satisfaire leurs desiderata. Une ville s’éleva en face d’Iroquois Falls, de l’autre côté des voies ferrées, peu après la première production de papier journal de l’usine. Nommée The Wye puis Ansonville, cette communauté indépendante n’était pas construite selon un plan bien précis. Si les équipements publics de base faisaient défaut, elle offrait néanmoins à ses habitants — des citoyens canadiens-français pour la plupart mais aussi quelques Juifs et immigrants d’Europe de l’Est — la liberté de bâtir à leur gré et où bon leur semblait maisons et commerces. Au début des années 1920, certains habitants s’opposèrent à la tentative d’apporter à la communauté dissidente un minimum d’administration municipale; ils créèrent alors Victoria (ultérieurement Montrock) au nord-ouest d’Ansonville.13

Lors du dixième anniversaire de la construction d’Abitibi, Iroquois Falls avait connu de nombreux succès. La communauté avait réussi son pari. Elle avait bâti dans le Nord de l’Ontario une ville basée sur une usine de papier florissante, dont la beauté et l’esprit reflétaient les idées progressives et novatrices de Franck Anson, fondateur de la ville.14 Au mois de janvier 1935, la température descendit jusqu’à -58°C (-73oF), établissant ainsi le record en Ontario. Aujourd’hui encore, Iroquois Falls est une ville de petite taille mais animée. Elle abrite l’usine prospère d’AbitibiBowater, et l’industrie du papier est toujours la première activité de la ville.


La Fiducie du patrimoine ontarien remercie Mark Kuhlberg pour ses travaux qui ont servi à l’élaboration du présent document.

© Fiducie du patrimoine ontarien, 2009


1 Ken Armson, Ontario Forests: A Historical Perspective, Toronto, Fitzhenry and Whiteside, 2001, p. 33-38 et ch. IV.

2 Si les appellations Ojibway et Iroquois sont encore utilisées dans ce contexte historique et par certaines Premières Nations, bon nombre de groupes et de communautés choisissent dorénavant de se désigner, respectivement, comme Anishinaabe et Haudenosaunee.

3 Kerry M. Abel, Changing Places: History, Community and Identity in Northeastern Ontario, Kingston et Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2006, ch. 2.

4 D.W. Ambridge et Frank Harris Anson, Pioneer in the North, New York, Newcomen Society in North America, 1952, p. 8-12. Il semble qu’il y ait eu une tentative avortée d’établir une usine de pâtes et papiers dans le bassin de l’Abitibi en 1901, dont certains détails peuvent être obtenus dans AO, RG3-1-0-1 (tous les documents, en particulier juin 1901, « Agreement between the Ontario government and John McAlpine »).

5 AO, RG75-57, OC68/425.

6 Rapport annuel du ministère des Terres, des Forêts et des Mines de l’Ontario, 1913, p. vi.

7 AO, MU1311, Northern Ontario — Its Progress and Development under the Whitney Government, vers 1914.

8 L’entreprise a maintes fois été rebaptisée au cours de la période de 1912 à 1915, mais elle a fini par adopter ce nom, qu’elle a conservé pendant des décennies.

9 Ambridge, passim; AO, F150, dossier F-150-8-0-23, Murray, Mather & Co, circulaire pour l’offre d’actions d’Abitibi, 1914; ibid., MU1309, dossier — enveloppe 1, 23 octobre 1912, note de service pour M. Gibson concernant Abitibi; ibid., 11 octobre 1913, J. A. McAndrew à W.H. Hearst; ibid., RG1-E-4-B, volume 3, nos 8-9, 15 août 1912, F. Anson et S. Ogilvie à W.H. Hearst; ibid., RG3-4, baux de la Water Power Crown 1920, 29 novembre 1920, E.C. Drury à A. Beck; PPMC, 13 mai 1920.

10 En Angleterre, à la fin des années 1900, l’urbaniste Ebenezer Howard ébauchait le projet de cités-jardins en tenant compte de paramètres à la fois socioéconomiques et physiques. Il plaidait pour une combinaison saine, naturelle et rentable des avantages de la vie en ville et de celle à la campagne tout en conciliant travail et loisirs.

11 A.P. Melton, un architecte de Chicago, a conçu le plan original, qui a ensuite été remanié par G.F. Summers et H.S. Crabtree. Ces derniers, deux arpenteurs-géomètres locaux, ont accordé une attention particulière aux caractéristiques topographiques du site.

12 Oiva Saarinen, « The Influence of Thomas Adams and the British New Town Movement in the Planning of Canadian Resource Communities », dans Artibise et Stelter, The Usable Urban Past: Planning and Politics in the Modern Canadian City [Université Carleton, 1979]; Abel, p. 82-86.

13 Abel, p. 85-86. En 1969, les trois villes ont été fusionnées et sont devenues la Corporation de la Ville d’Iroquois Falls.

14 Abitibi: A Story in Pictures — An Illustrated Story of the Development of the Newsprint Paper Mill of the Abitibi Power & Paper Company, Limited, Iroquois Falls, Ontario, Montréal, Abitibi Power & Paper Co., 1924.