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Le site Jean-Baptiste Lainé

Le vendredi 25 août 2017, la Fiducie du patrimoine ontarien a dévoilé une plaque provinciale commémorant le site Jean-Baptiste Lainé dans le parc de la Wendat Village Public School de Whitchurch-Stouffville.

Voici le texte de la plaque bilingue :

SITE JEAN-BAPTISTE LAINÉ

    Au XVIe siècle, avant l'arrivée des Européens, un village a été fondé sur ce site par les Hurons-Wendat, une Nation d'agriculteurs-cueilleurs, chasseurs et pêcheurs. Réagissant à l'accroissement des conflits dans la région, de nombreux petits villages ont fusionné pour former un peuplement de trois hectares de superficie, où vivaient 1 700 personnes dans plus d'une cinquantaine de maisons longues disposées autour d'une place centrale et entourées d'une palissade, d'un fossé et d'un remblai en guise de protection. Les fonctions économiques et politiques de la Nation huronne-wendat étaient hautement évoluées, intégrées et coordonnées. Les artefacts trouvés sur le site, dont un fragment d'un outil en fer basque, montrent que les Hurons-Wendat formaient des alliances et troquaient des marchandises avec d'autres Premières Nations dans des réseaux complexes qui s'étendaient sur tout le continent. Cette communauté s'est ensuite déplacée vers le nord pour se joindre à la Confédération des Hurons-Wendats dans les terres au sud de la baie Georgienne. Le village a été repéré par des archéologues en 2002 et les fouilles ont eu lieu entre 2003 et 2005. D'abord connu comme le site Mantle, il a été renommé « Site Jean-Baptiste Lainé » en l'honneur d'un Huron-Wendat vétéran décoré de la Deuxième Guerre mondiale. Il s'agit d'un site important pour notre compréhension de l'histoire politique et socio-économique des Hurons-Wendat.

JEAN-BAPTISTE LAINÉ YÄNDATA’YEHEN’ (Wendat)

    Chi onhwa’ti’ kha’ honnonhwa’ hatindarehk de wendat. Kha’ yändataentahk de wendat iyändatou’tennen’. Okendia’tih hontriohskwa’ ati’ hotindatändeyenhchon’. Yändatowänenhkeh ahsenh ha’tewen’ndia’weh tsoutare’ iskwen’ndia’wehchare’ ihatia’tayënen’. Wihch iyänonhskënen’ ithohchien’ ondatehk chia’teyändataen’. Ithondi’ aten’enhratehk, yända’yenhchatehk, öni’onhkaratehk. Hontenhndinonhchaienhwinen’. Hotirihowänennen’. Atenhndinonhcha’ hoti’ndiyonhrontahkwinen’ ithohchien’ hatia’tontahkwinen’. Ondaie’ orihwatoyen’ndih wa’de’ kha’ onde’chonh ayaoren’ndih de yahnenchtra’ de chi aontaratih etiayohaonnen’. De awehskwahk honwennendaratindihonh de wendat atho’yeh wa’de’ hontaken’. Yändata’yehen’ de ayaoren’ndih yayennha’yeh 2002. Kha’ ayönda’watih ne ontaonkontahk yayennha’yeh 2003 chia’ a’erihwihchi’en’ yayennha’yeh 2005. Okontahkwih Mantle yäatsinen’ de stan’ ne ondae’ te’tseas. Ehchiendohareh Jean-Baptiste Lainé. Ondaie’ ahonwahchiendaentahkwa’ wa’de’ chiwatrioh tëndih aton’tha’ hohki’wannen’ ithohchien’ hate’iathahk. De’kha’ yändata’yehen’ erihwändoronkhwa’. Ondaie’ ne onywarihwatehtändihk, onywarihwaienständihk de wendat iyarihou’tenh.

Historique

Même si la présence d’un grand village des Premières Nations est connue localement depuis un certain temps, le site Jean-Baptiste Lainé (anciennement Mantle, AlGt-334) est officiellement identifié par Archaeological Services Inc. (ASI) en 2002, lors d’une prospection préalable à l’aménagement d’un lotissement par la société Lebovic Enterprises de Stouffville (Ontario). Le site se trouve sur une partie de la parcelle 33, dans la concession 9 de la ville de Whitchurch-Stouffville, faisant partie de la municipalité régionale de York.

Des fouilles plus poussées du site menées par ASI entre 2003 et 2005 se soldent par la mise au jour d’un village presque entier, à l’exception des portions du site qui étaient protégées le long de la rupture de pente sur les rives du ruisseau Stouffville. Elles permettent d’enregistrer et de préserver le schéma d’établissement du site, les dépôts archéologiques associés et la culture matérielle qu’ils recèlent. Le déblaiement mécanique d’environ 4,5 ha de terre végétale révèle 98 maisons-longues, près de 1 500 éléments anthropiques (par exemple, des fosses, des poteaux de soutènement et des amoncellements de détritus) et plus de 104 000 artefacts (ASI, 2014). Les artefacts du site font partie de la collection permanente du Musée canadien de l’histoire. Le rapport de chantier figure dans les archives du ministère du Tourisme, de la Culture et du Sport de l’Ontario et des services d’archéologie et du patrimoine culturel d’ASI. Le site est présenté dans le film Curse of the Axe (Yap Films, 2012, en français Le mystère de la hache indienne). L’ouvrage The Mantle Site : An Archaeological History of an Ancestral Wendat Community (AltaMira Press, 2013) décrit les recherches et les interprétations concernant l’histoire du site dans le contexte de l’histoire et de l’archéologie huronnes-wendat, et constitue le traité universitaire le plus complet sur le site. D’autres publications reposant sur les données provenant du site et leur interprétation sont mentionnées ci-dessous et répertoriées dans la bibliographie.

En 2012, le site Mantle est rebaptisé Jean-Baptiste Lainé en l’honneur d’un vétéran huron-wendat estimé qui a combattu pendant la Seconde Guerre mondiale et s’est vu remettre, pour son service, la Médaille canadienne du volontaire et la Médaille de la Défense.

Les sociétés iroquoiennes

À l’époque du contact européen soutenu, au début des années 1600, les locuteurs iroquoiens septentrionaux habitent le sud de l’Ontario, le sud-ouest du Québec, la région des lacs Finger et la vallée de la rivière Mohawk, dans l’État de New York, et la vallée de la Susquehanna. (Le terme « iroquoien » désigne à la fois un modèle linguistique et culturel.)

Ces groupes partagent un certain nombre de caractéristiques culturelles, notamment des établissements ceints de palissades abritant des maisons-longues recouvertes d’écorce, une subsistance reposant sur l’horticulture du maïs appuyée par la chasse, la pêche et la cueillette, une structure sociale organisée autour d’une filiation matrilinéaire et de l’appartenance à un clan, et une organisation politique fondée sur des conseils de village, des nations de villages affiliés et des confédérations régionales (par exemple, Engelbrecht, 2003, et Trigger, 1976). On pense que les vestiges archéologiques qui véhiculent ces caractéristiques correspondent à des peuples ancestraux de langue iroquoienne (Warrick, 2000, p. 417), même si les liens entre culture matérielle, langue et ethnicité sont tout sauf limpides (par exemple, Hart et Brumbach, 2003, et Pihl et coll., 2008).

Au 17e siècle, les peuples iroquoiens du Nord sont organisés en confédérations politiques de nations alliées qui habitent des territoires distincts. La confédération huronne-wendat occupe la région située entre le lac Simcoe et la baie Georgienne. Avant le 17e siècle, leurs ancêtres peuplaient toute la rive nord du lac Ontario et la vallée de la Trent. Bien qu’on ignore si les habitants du site Jean-Baptiste Lainé étaient des membres de cette confédération, les descendants de cette communauté en deviennent en l’espace de quelques générations, migrant vers le nord pour rejoindre la confédération au moment de la visite de Champlain, en 1615 apr. J.-C. (Trigger, 1976).

L’archéologie iroquoienne préeuropéenne dans le centre-sud de l’Ontario

Le modèle général du développement culturel iroquoien dans le centre-sud de l’Ontario est étudié en détail dans un certain nombre de publications (Birch, 2015a; Birch et Williamson, 2013a; Ferris et Spence, 1995; Warrick, 2000; Williamson, 2014). Entre 1000 et 1300 apr. J.-C., les établissements iroquoiens typiques sont petits, couvrant moins d’1 ha et se composant d’un nombre restreint de maisons-longues, souvent entourées d’une palissade à une rangée. Ils servent peut-être de camps de base aux groupes qui cultivent le maïs, mais n’en sont pas moins fortement tributaires de la collecte des ressources saisonnières. À compter de 1300 apr. J.-C., la taille des villages augmente, probablement du fait de l’agrégation de deux ou plusieurs groupes plus modestes (Williamson et Robertson, 1994). Ces villages sont occupés tout au long de l’année. Le maïs devient une culture de base plus importante, constituant environ 50 % du régime alimentaire (Katzenberg, 1995; Pfeiffer et coll., 2014). S’appuyant de plus en plus sur la récolte du maïs, la population du centre-sud de l’Ontario connaît une « explosion démographique » et triple presque, pour passer, selon les estimations, de 10 000 à 24 000 personnes en 1420 apr. J.-C. (Warrick, 2008).

Plusieurs indices témoignent d’une montée des conflits violents dans toute la région durant la période du milieu à la fin du 15e siècle. Bien que les facteurs précis qui incitent à la guerre soient inconnus, ils pourraient être liés à l’accroissement démographique susmentionné et à la concurrence qui en résulte entre les groupes (Gramly, 1977; Birch et Williamson, 2013a). Les petits villages sont abandonnés. Leurs habitants se regroupent en grandes communautés défendables. Certains de ces sites font dix fois la taille de ceux qui étaient occupés auparavant. Dès 1500 apr. J.-C., seules quelques vastes communautés peuplent les principaux bassins hydrographiques de la rive nord-ouest du lac Ontario (Birch et Williamson, 2013a). L’une d’elles est la communauté qui occupe le site Jean-Baptiste Lainé.

La séquence du site du ruisseau Duffins Ouest

La séquence du site du ruisseau Duffins Ouest se rapporte sans doute à la communauté la plus étudiée en Iroquoia (par exemple, ASI, 2014; Birch, 2012, 2015; Birch et coll., à paraître; Birch et Williamson, 2013a, 2013b; Finlayson, 1985; Poulton, 1979).

Au milieu du 15e siècle apr. J.-C., huit petites communautés villageoises se regroupent pour former le site Draper (Finlayson, 1985; Poulton, 1979). Les signes d’expansions successives de la palissade pour accueillir de nouveaux ensembles de maisons-longues, dont on pense que chacun correspond à une population précédemment distincte, laissent supposer que l’agrégation s’est produite graduellement au fil des 25 à 50 ans de la durée estimée de l’établissement (Birch, 2012; Birch et Williamson, 2013a; Finlayson, 1985; Warrick, 2008, p. 136-137). Le fait que les ensembles de maisons-longues, bien que partageant une palissade, restent chacun spatialement séparé au sein de l’établissement en essor, indique que ces groupes ne sont pas entièrement intégrés et que des négociations et des réorganisations sociopolitiques surviennent constamment (Birch, 2012).

On suppose que la population du site Draper s’est déplacée en masse vers le site Spang à la fin du 15e siècle, puis vers le site Mantle au début du 16e siècle (figure 1) (Birch, 2012; Birch et Williamson, 2013a; Finlayson, 1985; Warrick, 2008). Ce schéma de coalescence et de relocalisation des communautés est étayé par la sériation des objets en céramique (Birch et coll., à paraître), la modélisation de terrain agricole (Birch et Williamson, 2013a, p. 99-100), les estimations démographiques (Birch et Williamson, 2013a, p. 77-78) et la radiodatation (Birch, 2012). Le site Spang n’a fait l’objet que de fouilles limitées et on en sait peu sur sa configuration interne (Carter, 1981). Toutefois, un levé géophysique récent porte à croire qu’à l’image du site Jean-Baptiste Lainé, il pourrait avoir inclus une place centrale (Birch, 2015b).

Alors que le site Draper pourrait être qualifié d’agrégat formateur, le milieu bâti de Mantle semble indiquer une communauté bien intégrée dotée de fonctions politiques et économiques coordonnées (Birch et Williamson, 2013a; Birch, à paraître), soit un agrégat consolidé. L’historique complexe de l’occupation du site Mantle se résume à des phases précoce et tardive (figure 2) (Birch et Williamson, 2013a). La phase précoce du plan d’établissement couvre quelque 2,9 ha et comprend une place centrale entourée de maisons-longues densément peuplées et disposées en rangées parallèles et par paires. La présence d’un unique amoncellement de détritus à flanc de coteau à l’extérieur de la palissade ouest dénote une coordination entre membres de la communauté en ce qui concerne le rejet des déchets. Les deux plus grandes maisons de la communauté sont situées au point culminant du terrain et ont été reconstruites au même emplacement à plusieurs reprises, ce qui permet de déduire qu’elles tenaient une place importante et durable au sein de la communauté, peut-être comme résidences de hautes lignées. La phase tardive de l’historique d’occupation de la communauté est caractérisée par une contraction de la palissade, réduisant la taille du village de 400 m2, et par l’aménagement d’un fossé et d’un talus autour de la palissade. La place est remplie de nouvelles structures, vraisemblablement vers la même période. On estime que le site Mantle est abandonné quelque temps avant 1600 apr. J.-C. et que ses résidents déménagent dans le nord, sur des sites non mis au jour dans le bassin hydrographique de la Holland, avant de délaisser la rive nord du lac Ontario pour se joindre à la confédération wendat au début du 17e siècle (Birch et Williamson, 2013a; Williamson, 2014).

Importance

D’un point de vue universitaire, le site Jean-Baptiste Lainé a contribué à éclairer le savoir théorique concernant les processus de coalescence, d’agrégation des établissements et de réorganisation géopolitique (Birch, 2012; Birch et Williamson, 2013a, 2013b). Le site apporte des preuves du développement d’une complexité organisationnelle au sein des sociétés wendat comparable aux processus d’urbanisme ancien dans d’autres parties du monde. La culture matérielle trouvant son origine sur la côte est du Canada et de l’État de New York atteste un commerce à longue distance, qui a valu au site d’être surnommé la « New York antique du Canada » par les médias scientifiques (Jarus, 2012).

Pour les Premières Nations, la complexité culturelle manifeste du site Jean-Baptiste Lainé témoigne d’un degré de développement sociétal souvent dénié aux peuples autochtones dans les récits coloniaux traditionnels. Fruit d’un dur labeur et d’un effort intense de diplomatie et de création d’institutions, le site a eu un impact profond sur le paysage social et politique de la région des Grands lacs inférieurs. La conservation de portions du site et sa commémoration font office de piqûre de rappel de l’histoire et des réalisations des Hurons-Wendat et de leurs ancêtres.


La Fiducie du patrimoine ontarien tient à remercier Jennifer Birch de ses travaux de recherche sur lesquels repose le présent document.

© Fiducie du patrimoine ontarien, 2017


Bibliographie

Archaeological Services Inc.

  • 2014 The Archaeology of the Mantle site (AlGt-334) : Report on the Stage 3-4 mitigative excavation of part of Lot 22, Concession 9, Town of Whitchurch-Stouffville, Regional Municipality of York, Ontario, Jennifer Birch et Ronald F. Williamson. Rapport archivé dans les dossiers du ministère du Tourisme, de la Culture et du Sport de l’Ontario, Toronto.

Birch, Jennifer

  • 2010 « Coalescent Communities in Iroquoian Ontario », Hamilton, Université McMaster, Département d’anthropologie. Dissertation de doctorat non publiée.
  • 2012 « Coalescent Communities: Settlement Aggregation and Social Integration in Iroquoian Ontario », American Antiquity, vol. 77, no 4, p. 646-670.
  • 2015a « Current Research on the Historical Development of Northern Iroquoian Societies », Journal of Archaeological Research, vol. 23, no 3, p. 263-323.
  • 2015b Geophysical and Geochemical Investigations of the Spang Site (AlGt-66). Rapport archivé dans les dossiers du ministère du Tourisme, de la Culture et du Sport de l’Ontario.

Birch, Jennifer

  • « Relations de pouvoir et de production au sein des communautés ancestrales Wendat », manuscrit accepté par Palethnologie le 1er janvier 2016. À paraître.

Birch, Jennifer, et Ronald F. Williamson

  • 2013a The Mantle Site : An Archaeological History of an Ancestral Wendat Community, Lanham, Altamira Press, p. 195.

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