Menu
Camp de service de remplacement de la rivière Montréal
Cette plaque a été dévoilée le 26 septembre 2024 au Collège universitaire Conrad-Grebel de Waterloo, puis érigée de façon permanente au Twilight River Resort (l’ancien site du Camp de service de remplacement de la rivière Montréal) à Montreal River Harbour, au nord de Saut Ste. Marie, le 28 septembre 2024.
Voici le texte de la plaque bilingue :
CAMP DE SERVICE DE REMPLACEMENT DE LA RIVIÈRE MONTRÉAL
- Lorsque le Canada instaure la conscription en 1940, de nombreux jeunes hommes — pour la plupart des membres de l’Église mennonite ou d’autres églises traditionnellement pacifistes — souhaitent effectuer leur service sous une forme qui n’est pas liée au combat afin de respecter leurs convictions religieuses et morales. Face à cette situation, le gouvernement du Canada établit des camps civils pour accueillir les objecteurs de conscience, afin qu’ils y exécutent des travaux en lieu et place du service militaire. Le 16 juillet 1941, un premier groupe d’hommes, majoritairement originaires du sud de l’Ontario, s’installe au premier camp de travail établi en Ontario, le Camp de service de remplacement de la rivière Montréal, pour y effectuer un service d’une durée de quatre mois. Ils y sont principalement affectés aux travaux de prolongement de la route Transcanadienne en direction du nord. Dans ces camps éloignés de chez eux, ces hommes n’ont aucun repère et la vie y tranche brutalement avec leur quotidien d’avant. En mars 1942, le gouvernement du Canada publie un décret imposant désormais aux objecteurs de conscience de rester en service pendant toute la durée de la guerre. Quoique profondément déçus, les hommes ne s’en plieront pas moins à leurs obligations. Au printemps 1942, une grande partie des occupants du camp est transférée dans des camps de Colombie-Britannique pour y réaliser des travaux généraux et entretenir les forêts. Le camp de la rivière Montréal ferme ses portes en mai 1943 après avoir servi de modèle à plus de 50 camps au Canada. Ces camps de travail sont souvent considérés comme le symbole de la résistance à la guerre et de la croyance dans la non-violence. Ces objecteurs de conscience ont été des maillons indispensables au maintien des services essentiels au Canada pendant la guerre.
MONTREAL RIVER ALTERNATIVE SERVICE WORK CAMP
- When Canada introduced wartime conscription in 1940, many young men — largely of Mennonite and other historic peace churches — sought alternatives to military service based on religious conviction and conscience. In response, the Canadian government set up the non-military, alternative service work camps for conscientious objectors. On July 16, 1941, the first group of men, most from Southern Ontario, arrived at Ontario’s first camp, the Montreal River Alternative Service Work Camp to serve four-month terms. Their work focused on extending the Trans-Canada Highway northwards. Remote camp life was unchartered territory for these men and a profound dislocation from their lives. In March 1942, the Canadian government issued an order-in-council requiring conscientious objectors to serve for the duration of the war instead. The men found this change deeply disappointing yet continued to serve as required. In spring 1942, many of the present occupants were transferred to British Columbia camps for general labour and forest protection. The Montreal River camp closed in May 1943, having served as a model for over 50 camps across Canada. For many, these work camps became symbols of resistance to war and a belief in pacifism. The work of these conscientious objectors greatly contributed to Canada’s essential services during the war years.
Historique
Pendant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), le gouvernement du Canada rétablit la conscription dès 1940 par la Loi sur la mobilisation des ressources nationales1, qui fut promulguée la même année. À la suite de cette décision, de nombreux jeunes hommes, invoquant leurs convictions religieuses et morales, recherchèrent des solutions de substitution au service militaire. Ces solutions virent le jour au terme des longues négociations qui furent menées entre la Conference of Historic Peace Churches (CHPC) — la conférence des Églises traditionnellement pacifistes — établie en Ontario, et le gouvernement canadien. L’exemple le plus représentatif en est l’ancien camp de bûcherons qui était situé sur la rivière Montréal, à 133 kilomètres (83 milles) au nord-ouest de Sault Ste. Marie2. Cette initiative était une mesure marquante de la part du gouvernement, qui offrait aux objecteurs de conscience une solution pacifique en lieu et place du service militaire, mais aussi de la part des Églises chrétiennes, qui surent mettre de côté leurs divergences théologiques pour s’unir face à la conscription. Le camp de la rivière Montréal allait inspirer la création de plus de 50 établissements similaires au Canada, et fut un modèle pour plus de 10 000 objecteurs de conscience au cours de la Seconde Guerre mondiale3. Placé sous l’autorité du ministère des Mines et des Ressources, il devait accueillir pour une période de quatre mois jusqu’à 200 hommes représentant principalement la CHPC (qui rassemblait des confessions mennonites, l’Église de la fraternité chrétienne (Brethren in Christ) et la Société des amis (Quakers)), de même que d’autres confessions telles que les christadelphes (Christadelphians), l’Église Unie du Canada, les adventistes du septième jour, l’Armée du salut, les pentecôtistes et les témoins de Jéhovah.4
Le camp avait pour vocation première de contribuer à l’aménagement de la Transcanadienne5; les travailleurs y accomplissaient diverses tâches, comme le déchargement du gravier transporté par les camions, l’abattage des arbres, les travaux de menuiserie, l’arpentage et d’autres tâches liées à la gestion du camp6. Levés dès l’aube pour entamer leur journée, les hommes étaient à l’œuvre huit heures par jour, et bénéficiaient d’une heure de pause pour le déjeuner7. Le personnel du camp comptait parmi ses rangs Charles E. Tench, superviseur et ingénieur, ainsi que des contremaîtres et un directeur des services de premiers soins. Les responsabilités spirituelles incombaient à J. Harold Sherk, secrétaire de la CHPC, qui se rendait au camp chaque semaine, sauf en hiver où il était remplacé par Harold D. Groh8. Le campement était doté d’un réfectoire, d’une cuisine, d’un cabinet d’aisances extérieur, d’une salle du personnel, d’une salle de loisirs, d’un hangar, d’une baraque où était conservée la viande, d’un poteau de services publics, d’un baraquement d’hébergement et d’une écurie. Le gouvernement du Canada assurait le transport vers et depuis le camp, fournissait le gîte et le couvert, et versait une solde de 50 cents par jour à la plupart des travailleurs — mais la rémunération des cuisiniers, des commis au pointage, des superviseurs et des conducteurs de camion pouvait atteindre le double de ce montant9. Les Églises et d’autres organismes collectaient des fonds au profit du camp et faisaient parvenir aux hommes des produits et denrées pour remonter leur moral, mais toutes les dépenses engagées pendant les congés étaient à la charge des travailleurs.
Le premier groupe d’hommes arriva au camp en juillet 194110 après avoir reçu leurs lettres d’instruction détaillant leurs conditions de service et les dispositions de leur voyage. Dans leurs journaux intimes, ces hommes relatent leur périple vers le camp, d’abord en train, puis entassés avec d’autres internes du camp à bord d’un camion circulant sur des routes cahoteuses, souvent dans l’obscurité, vers une destination inconnue dont ils ignoraient tout et qui n’était accessible que par un pont de bois jeté par-dessus une rivière dont le lit débordait parfois de ses rives11. L’expérience vécue par ces hommes attira l’attention de la presse12 et suscita moult débats au sein des diverses confessions des congrégations et des Églises auxquelles ils appartenaient.
Bon nombre de ces hommes considéraient que les conditions de leur engagement au camp étaient une conséquence acceptable de leur foi religieuse, voire une forme de vie chrétienne en communauté. Leurs convictions s’exprimaient dans le Northern Beacon, le tout premier bulletin des objecteurs de conscience chrétiens du Canada. Dix numéros furent imprimés avant que la publication ne soit transférée aux camps de Colombie-Britannique, et elle devait inspirer la création d’au moins une autre publication, intitulée The Canadian CO13. Conçu pour cimenter l’unité entre les hommes de confessions diverses, le Northern Beacon proposait des articles consacrés à la foi et à la religion, des nouvelles du camp et des travaux, des poèmes (y compris le chant du camp) et des lettres de lecteurs.
La vie au camp était parfois éprouvante et le moral des hommes était mis à rude épreuve, beaucoup s’étant persuadés qu’ils occupaient un emploi de complaisance, sans réelle utilité pour la construction de la route14. Peu d’entre eux étaient véritablement préparés à affronter la réalité de la vie dans les terres du Nord, loin de leurs fermes et de leurs proches. Ils attendaient impatiemment chaque lettre provenant de chez eux, mais 128 kilomètres (80 milles) séparaient le camp du bureau de poste et du magasin15. La vie au camp fut ébranlée par plusieurs incidents, parmi lesquels un incendie qui ravagea la tente de l’aumônier, des périodes de quarantaine imposées par les maladies, et l’isolement du camp, bloqué par de fortes chutes de neige16. Des tensions surgissaient parfois entre les hommes, nourries par leurs divergences de vues sur la foi et le service17. Toutefois, les soirées offraient souvent des moments de concorde entre chants et activités sportives, et les carnets de dédicaces noircis par les hommes au terme de leur service témoignent des amitiés profondes qui s’étaient tissées par-delà les différences confessionnelles.
En 1942, le gouvernement canadien en était venu à apprécier la contribution des objecteurs de conscience de la rivière Montréal — ou conchies, tel qu’ils étaient surnommés en anglais — les considérant comme un atout derrière les lignes de front. Le 30 mars de cette même année, un décret pris par le gouvernement imposa à tous les hommes du camp de demeurer sur place pour toute la durée de la guerre18. Cette annonce fit l’effet d’un coup de massue pour ceux qui s’apprêtaient à rentrer chez eux. En juin, on les notifia de leur déploiement vers les camps de l’arrière-pays de la Colombie-Britannique, dont ils devaient notamment protéger les forêts contre les attaques par bombes incendiaires menées par les forces japonaises19. Face à cette nouvelle, plusieurs hommes présentèrent des demandes de permission pour retrouver leurs familles, mais leurs requêtes se heurtèrent, le plus souvent, à une fin de non-recevoir.
Le camp de la rivière Montréal a officiellement fermé ses portes en mai 1943. Bon nombre des hommes qui y étaient stationnés furent réaffectés dans des fermes du Sud de l’Ontario, conformément à la nouvelle politique agricole du gouvernement. Leur solde fut saisie au profit de la Croix-Rouge pendant une durée d’un an après la fin de la guerre20. En tout, 570 hommes accomplirent leur service au Camp de service de remplacement de la rivière Montréal. Leur contribution, à la rivière Montréal comme dans les autres camps d’objecteurs de conscience au Canada, a été indispensable au maintien des services essentiels au Canada pendant la guerre.
La Fiducie du patrimoine ontarien tient à exprimer sa reconnaissance à Timothy Epp pour les recherches qu’il a menées dans le cadre de l’élaboration du présent document. La Fiducie remercie également la Mennonite Historical Society et le Collège universitaire Conrad-Grebel.
© Fiducie du patrimoine ontarien, 2024
1 Thomas P. Socknat, Witness Against War: Pacifism in Canada 1900-1945 (Toronto : University of Toronto Press, 1987), p. 226.
2 Melvin Gingerich, « Alternative Service Work Camps (Canada). » Global Anabaptist Mennonite Encyclopedia Online. Mars 2009. Site Internet. 28 mars 2022.
3 Conrad Stoesz, « This Thing is in Our Blood for 400 years: Conscientious Objection in the Canadian Historic Peace Churches during the Second World War » dans Lara Campbell, Michael Dawson et Catherine Gidney, éditeurs, Worth Fighting For: Canada’s Tradition of War Resistance From 1812 to the War on Terror (Toronto : Between the Lines Press, 2015), pp. 101-102.
4 Edward Gilmore, « The Alternative Service Work Program », dans E. J. Swalm, Nonresistance Under Test (Nappanee : E.V. Publishing House, 2012), pp. 77 et 78.
5 J.A. Toews, Alternative Service in Canada During World War II. Publication Committee of the Canadian Conference of the Mennonite Brethren Church, 1959, p. 76.
6 Darrell James, Called to be a Soldier, (Moundridge, Vineyard Publications, 2014), p. 49.
7 Samuel J. Steiner, In Search of Promised Lands: A Religious History of Mennonites in Ontario (Windsor : Herald Press. 2015), p. 313.
8 Samuel J. Steiner, In Search of Promised Lands: A Religious History of Mennonites in Ontario (Windsor : Herald Press. 2015), p. 313.
9 Edward Gilmore, « The Alternative Service Work Program », dans E. J. Swalm, Nonresistance Under Test (Nappanee : E.V. Publishing House, 2012), p. 78.
10 Thomas P. Socknat, Witness Against War: Pacifism in Canada 1900-1945 (Toronto : University of Toronto Press, 1987), p. 241.
11 Darrell James Frey, Called to be a Soldier, (Moundridge : Vineyard Publications, 2014), p. 119.
12 Frank Flaherty, « Conchies Doing Great Job on Roads. » The Sault Daily Star, 29 août 1941, p. 12.
13 Thomas P. Socknat, Witness Against War: Pacifism in Canada 1900-1945 (Toronto : University of Toronto Press. 1987), p. 242.
14 Samuel J. Steiner, In Search of Promised Lands: A Religious History of Mennonites in Ontario (Windsor : Herald Press. 2015), p. 314.
15 Thomas P. Socknat, Witness Against War: Pacifism in Canada 1900-1945 (Toronto : University of Toronto Press, 1987), p. 241.
16 « Christmas Show is Well Attended: Children Put on Concert Directed by Marie Rabicheau. » The Sault Star, 16 janvier 1942, p. 7. (Letters, letter, MAO XV-11.1.2.2).
17 Samuel J. Steiner, In Search of Promised Lands: A Religious History of Mennonites in Ontario (Windsor : Herald Press. 2015), p. 315.
18 Samuel J. Steiner, In Search of Promised Lands: A Religious History of Mennonites in Ontario (Windsor : Herald Press. 2015), p. 315.
19 « 60 Conscientious Objectors Moved: Montreal River Road Crew to Go to British Columbia. » The Sault Star, 06 juillet 1942, p. 3.
20 J.A. Toews, Alternative Service in Canada During World War II. Publication Committee of the Canadian Conference of the Mennonite Brethren Church, 1959, p. 76.